Journal de la Kolyma de Jacek Hugo-Bader

Pour ceux qui aiment: Les récits de la Kolyma de Varlam Chamalov ou L'Archipel du Goulag d'Alexandre Soljenitsyne

"Savez-vous que la viande humaine a le même goût que la viande de renne: très fine, légèrement sucrée, maigre? Je ne sais pas d'où les locaux tirent ce savoir. J'imagine qu'on se le transmet de génération en génération. On dit que la moitié des habitants actuels de la Kolyma sont des descendants de zeks, c'est-à-dire des anciens détenus des camps. Deuxième ou troisième génération. Le mot zek (écrit z/k dans les documents soviétiques) est l'abréviation du mot zaklioutchionny: littéralement "enfermé à clé", c'est-à-dire un détenu. (...) 
Revenons-en à la viande: c'est probablement à cause de cette similitude dans le goût que les ours locaux sont si redoutables. Ils adorent le renne; l'humain est pour eux un renne qui ne sait pas courir, un mets sans bois, bref, un pigeon, une proie facile. Il suffit donc que le nounours goûte à l'homme une fois pour y prendre goût. Il arrêtera de courir les montagnes sur la trace des rennes et des élans, ne cueillera plus de baies, de myrtilles, de sorbes, ni de champignons. Finies, les expéditions aux poubelles. Désormais, il se tiendra près de la Route de la Kolyma, des habitations humaines et des campements des chercheurs d'or. 
Toutes ces histoires qu'on m'avait racontées sur les ours!" p. 18

Cet extrait résume en quelque sorte le nouveau livre traduit en français du journaliste polonais, Jacek Hugo-Bader. En septembre 2010, à l'approche de l'hiver, ce passionné de voyage et de Russie va se lancer dans la traversée de la Route; un R majuscule pour ce tracé qui traverse un des territoires les plus rudes de notre planète, la Kolyma, au Nord-Est de la Sibérie. 

Hugo-Bader nous invite donc à découvrir cette région, souvent uniquement connue pour avoir hébergé les goulags soviétiques parmi les plus terribles. Il sera donc question dans ce récit de zeks, ces prisonniers des camps, parfois condamnés pour des broutilles (six ans pour un jour de retard au travail) en vertu du redouté article cinquante-huit. Mais l'auteur nous offre également et surtout de très belles rencontres des habitants actuels de la Kolyma: ses chercheurs d'ors, ses chauffeurs de camion, ses prisonniers qui n'ont pas su/voulu repartir, ses journalistes, ses chasseurs d'ours, ses aventuriers; tous décidés à surmonter la dureté du climat et de la vie dans la Kolyma. 

Dans Journal de la Kolyma, il sera donc beaucoup question de vodka, d'ours et de froid et il faut avouer qu'on ne respire souvent pas la joie dans la région. Mais que cela ne vous empêche pas de découvrir les rencontres passionnantes, parfois drôles et souvent absurdes de l'auteur avec les mafieux russes (les blatnys) qui jouent au carte avec les commissaires de police, Aleksandr Bassanski, le millionnaire-politicien qu'on peine à vraiment appeler un démocrate (de toute façons, ce mot est une insulte pour les Russes), le lieutenant-colonel Valeri Ierokhine et ses récits de Tchétchénie ou encore Natalia, la fille de Nikolaï Ivanovitch Iejov, le sanglant commissaire en chef des Services de sécurité soviétiques, surnommé la Main de fer de Staline. 

J'avais déjà lu de cet auteur La Fièvre blanche, que j'avais déjà trouvé passionnant mais peut-être plus indigeste et décousu. Ici, j'ai vraiment aimé le fait que le livre se concentre sur un seul voyage et qu'on avance petit à petit, de la ville de Magadan au territoire du peuple iakoute. 

Une découverte hors des sentiers battus de la Kolyma, entre le passé très lourd des goulags et la réalité post-soviétique de cette région reculée de la Sibérie. Jacek Hugo-Bader sait décidément offrir à son lecteur une image sincère et étonnante de cette diverse nation qu'est la Russie. 
Peut-être pas idéale comme lecture estivale, mais n'hésitez à vous embarquez pour ce voyage dans les mois à venir....

Journal de la Kolyma est une road story. Jacek Hugo-Bader y raconte son voyage en autostop sur la Route de la Kolyma, qui relie Magadan à Iakoutsk et s'étire sur 2025 kilomètres: un chemin fait de rencontres, d’expériences et d’émotions, au début de l'hiver 2010.
La Kolyma, au climat extrêmement rude, a été le lieu d’exil d’une multitude de prisonniers soviétiques, qui ont travaillé jusqu'à la mort dans ses mines d'or, d'argent et d'uranium. Mais s'il évoque ce terrible passé, c'est surtout le présent que veut mettre en avant le reporter polonais, et les gens qui, aujourd'hui, vivent dans ces régions reculées. Il fait ainsi le portrait de Dima le tchékiste, gras et terriblement bruyant ; de Natacha, 79 ans, fille de Iejov, le chef de la police secrète sous Staline, responsable de millions de morts ; du chien Bobik ; de l’oligarque Aleksandr, qui s'est enrichi grâce à l'or de la région; et de la chamane iakoute Dora, comme pour placer son récit et son voyage sous la protection des esprits…
Dans ce fort et remuant reportage littéraire, Jacek Hugo-Bader plonge au cœur de de l'Extrême Nord russe, en donnant la parole à ses habitants et aux voyageurs de passage. 

Né en 1957, Jacek Hugo-Bader a travaillé dans toutes sortes de domaines (l'épicerie, le conseil matrimonial, le fret ferroviaire...) avant de devenir journaliste pour le grand quotidien polonais Gazeta Wyborcza. Membre fervent de l'opposition anticommuniste en Pologne, il se met à voyager avec passion et devient un spécialiste de l'ex-URSS; il réaliste de nombreux reportages à bicyclette en Chine, en Mongolie et au Tibet. En 2012, il publie La Fièvre blanche aux Éditions Noir sur Blanc, récit de ses voyages à travers l'Empire russe déglingué, de Moscou à Vladivostok.

Je remercie Babelio et les éditions Noir sur Blanc pour l'envoi de ce récit.  

HUGO-BADER Jacek, Journal de la Kolyma, ed. Noir sur Blanc, avril 2015, 384p., traduit du polonais par Agnieszka Zuk. 
HUGO-BADER Jacek, Dzienniki Kolymskie, ed. Wydawnictwo Czarne, 2011. 

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Commentaires

  1. ça me donne envie ton récit enfin celui de ce journaliste polonais - de belles rencontres en perspective. J'ai étudié le russe et la Russie pendant très longtemps donc je connais bien ces zek et leur histoire. Je le note !

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    1. Si tu connais déjà bien la Russie, je pense que tu apprécieras vraiment ce récit. Il présente une Russie moderne et des portraits vraiment éloignés des habitants de Moscou. L'histoire des goulags, des zeks, etc y sert juste de toile de fond.

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  2. J'ai chez moi Le ciel de la Kolyma (Guinzbourg)
    Ce livre plus récent m'a l'air passionnant

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    1. Ah, je ne connaissais pas Le ciel de la Kolyma, mais ça pourrait être un bon complément à ma lecture. Là, j'ai trouvé vraiment passionnant de mélanger cette histoire lourde de la Kolyma avec la situation actuelle dans cette région. Il y a tout une réflexion sur comment les gens vivent sur cette terre synonyme de tant de souffrance.

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  3. Pfiou, tout me parle là-dedans ! En particulier les ours ! :-D Effectivement ce ne sera pas pour cet été mais c'est bien noté pour dans quelques mois !
    En passant, j'ai commencé le Gordimer et je suis très agréablement surprise ! J'ai essayé d'embarquer Keisha sur le coup mais je crois qu'elle résiste. :-)

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    1. Alors les ours dans ce roman sont loin d'être des gentils nounours, c'est plutôt les terreurs de la route (même si perso, à la lecture du livre et en regardant certaines photos, je préfèrerais encore croiser un de ces ours plutôt que certains truands et camionneurs complètement défoncés à la vodka...). C'est vraiment une plongée intéressante dans une région méconnue et il devrait te plaire.
      Et pour Gordimer, je pense qu'on va réussir à convaincre Keisha grâce à nos billets, parce que, à mon humble avis, c'est assez son genre de bouquin, non?

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  4. Finalement, ce ne fut pas si plombant que ça, au vue du titre.

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    1. Ce n'est pas forcément joyeux non plus. La situation est clairement moins horribles que sous l'ère soviétique à la Kolyma mais ça reste des conditions assez rudes.

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