Plus jamais esclaves! d'Aline Helg
Vainqueur du Prix des lecteurs de l'Hebdo 2016 - catégorie essai
En novembre dernier, je vous parlais de ma participation au Prix des lecteurs de l'Hebdo 2016 et de la victoire de Plus jamais esclaves! d'Aline Helg. Je trouve enfin un moment de vous parler plus en détails de ce roman, alors qu'entre-temps, nous avons malheureusement appris la mort de l'Hebdo, un coup dur pour la presse romande. Cette deuxième et dernière sélection du Prix des lecteurs de l'Hebdo a ainsi une saveur un peu particulière, mais ô combien méritée selon moi pour le livre d'Aline Helg. Plus jamais esclaves! était en effet clairement mon favori dans cette sélection de 10 essais.
Aline Helg, professeur à l'Université de Genève (après plusieurs années passées aux États-Unis, à l'Université du Texas) a fourni un travail historiographique colossal pour nous livrer au final une étude très complète des stratégies d'émancipation des esclaves, au cours de cinq siècles et à travers tout le continent américain. Son travail permet de revenir sur une vision un peu biaisée de l'esclavage, aboli gracieusement par quelques anglais plus éclairés et un noble président américain pour le bénéfice d'une population noire complètement passive. Au contraire, Aline Helg nous montre que dès le début de l'esclavage en 1492 et cela jusqu'à ces derniers jours en 1838, des esclaves se sont révoltés contre leur sort et ont trouvé des stratégies pour s'émanciper, formant, petit à petit, des communautés de "libres de couleur". L'auteur nous livre ainsi une histoire de l'esclavage "par le bas".
J'ai trouvé cet essai passionnant. L'abolition de l'esclavage est un sujet bien sûr largement traité mais les émancipations individuelles obtenues au fil des siècles et par différentes stratégies m'étaient beaucoup moins familières. J'admire également l'exhaustivité de l'étude d'Aline Helg, qui loin de chercher la facilité en se concentrant uniquement sur un pays ou une époque, réussit ici à nous donner un aperçu large en se basant sur des publications et documents en 4 langues. Un travail bibliographique qui parait titanesque mais qui permet de comprendre les différences entre l'Amérique hispanophone et catolique et celle des colonies anglophones et protestantes.
Plus jamais esclaves! passe donc en revue le marronnage, à savoir la fuite des esclaves dans les régions encore inhabitées du continent, la manumission (l'achat de sa liberté), la révolte ou l'engagement militaire et parcourt en parallèle toute l'histoire de l'Amérique en montrant le rôle souvent ignoré de cette population silencieuse. Mise à part l'épisode de la révolte de Saint-Domingue qui verra la création de la République d'Haiti, l'auteur montre que les esclaves et leur désir d'émancipation jouent également un rôle dans les guerres d'indépendance américaines ou dans l'histoire post-révolutiaire de la France, épisodes où la contradiction entre l'idéal de liberté s'oppose de manière inéluctable au désir de maintenir une main d'oeuvre servile dans les Amériques.
A travers les siècles, Aline Helg montre que certains esclaves ont
réussi à exploiter les faiblesses passagères des régimes afin de
s'émanciper, et cela malgré les énormes obstacles imposés par les différents gouvernements. Les quelques révoltes, parfois seulement soupçonnées, se terminaient en bain de sang et exécutions "exemplaires", la manumission promise à un esclave était souvent repoussée voire révoquée, les communautés marronnes rapidement anéanties et l'engagement militaire rarement récompensé malgré les promesses des belligérants à court de chair à canon (l'épisode de la "loterie de la liberté" en Argentine m'a particulièrement marquée).
On pourrait regretter l'accumulation de statistiques, qui rende ce récit précis mais peut-être un peu lourd parfois. Plus jamais esclaves! reste un travail de recherche académique mais son souffle et son sujet passionnant le rend toutefois tout à fait abordable.
Un travail de recherche extrêmement précis mais inspirant sur l'émancipation des esclaves à travers toute l'Amérique. L'ouvrage d'Aline Helg redonne un rôle, une place à plus de 12 millions d'africains importés dans les Amériques, soumis aux lois des esclavagistes mais également acteurs de l'histoire. Plus jamais esclaves! se lit ainsi au final comme une formidable ode à la liberté.
Longtemps, l’émancipation des esclaves fut considérée comme l’œuvre des
abolitionnistes, libéraux et blancs. Dans cet ouvrage, qui fait pour la
première fois le grand récit des insoumissions et des rébellions
d’esclaves dans l’ensemble des Amériques et sur plus de trois siècles,
Aline Helg déboulonne cette version de l’histoire. En s’appuyant sur une
très riche historiographie fondée sur des sources états-uniennes,
latino-américaines, antillaises, britanniques, françaises et
néerlandaises, elle montre que, bien avant la naissance des mouvements
abolitionnistes, une partie des millions d’esclaves arrachés à l’Afrique
par la traite négrière et de leurs descendants était parvenue à se
libérer, le plus souvent en exploitant les failles du système, à
l’échelle locale ou globale. Cette étude pionnière par son ampleur dans
le temps et l’espace met en lumière le rôle continu des esclaves
eux-mêmes dans un long processus de lutte contre l’esclavage sur tout le
continent américain et dans les Caraïbes, du début du XVIe
siècle à l’ère des révolutions. Elle dévoile les stratégies qu’ils ont
élaborées pour renverser subrepticement – et parfois violemment – un
rapport de forces qui, dans son écrasant déséquilibre, ne leur laissait a priori rien
espérer. Sans magnifier le rôle des esclaves ni occulter les limites de
leurs actions, ce grand récit montre que l’esclavagisme déshumanisant
n’est pas parvenu à empêcher que des hommes, des femmes et des enfants
accèdent, par leurs propres moyens, à la liberté.
Après avoir enseigné à l’université du Texas à Austin, l’historienne Aline Helg est professeure à l’université de Genève. Elle a publié Liberty and Equality in Caribbean Colombia, 1770-1835 (2004) et Our Rightful Share. The Afro-Cuban Struggle for Equality, 1886-1912 (1995), tous deux lauréats de prix de l’American Historical Association.
HELG Aline, Plus jamais esclave!, éditions la découverte, mars 2016, 422p.
(rien à la bibli)
RépondreSupprimerMais cet essai, c'est complètement ce que j'aime lire!
(et j'ai lu American prophet, bon, en français quand même)
Je pense effectivement que c'est typiquement le genre de livre qui pourrait te plaire. Regarde encore une fois à la bibli et au pire je te l'envoie...
SupprimerAh oui, et American prophet, acheté il y a quelques semaines. Yapluka!
SupprimerLes essais ne sont pas ma lecture favorite mais je note malgré tout celii-ci :)
RépondreSupprimerCe n'est probablement pas l'essai le plus facile d'accès. On est quand même dans une étude académique, qui se veut très exhaustive. Mais c'est novateur et passionnant. Peut-être pour après les vacances d'été?
SupprimerJ'avais noté ce titre dès qu'il est apparu sur ton blog. Ton article confirme l'impression que ça devrait m'intéresser.
RépondreSupprimerJ'espère que depuis tu as pu te le procurer. Sinon, je le fais volontiers voyager, même si c'est un vrai pavé... ;-)
SupprimerUn travail immense, on dirait.
RépondreSupprimerTitanesque ;-)
SupprimerC'est un sujet intéressant mais je ne me sens pas de me lancer dans cette lecture!
RépondreSupprimerTotalement compréhensible. J'espérais trouver une conférence d'Aline Helg en ligne mais rien à l'horizon pour le moment. Dommage dommage.
SupprimerUn thème traité de façon originale. Merci pour ce partage.
RépondreSupprimerPlus qu'originale, je pense qu'Aline Helg remet vraiment en question notre connaissance et nos impressions de cette période.
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