Lausanne d'Antonio Soler
Pour ceux: qui voyagent en train
A l'occasion d'un voyage en train entre Genève et Lausanne, Margarita se remémore les grandes étapes de sa vie. Issue d'une famille d'immigrés républicains espagnols, ayant trouvé refuge à Lyon, puis femme du fraiseur Vila, l'employé de son père, son existence sera à jamais troublée par la relation extra-conjugale de son mari. Une relation à trois, destructrice, que Margarita nous conte au fil des gares de la côte lémanique.
Je connais très peu la littérature hispanophone et je découvre ici, avec plaisir, un nouvel auteur. Antonio Soler est un écrivain espagnol, respecté et reconnu dans son pays pour son oeuvre qui compte jusqu'ici neuf romans. C'est pourtant le titre très suisse de son livre qui m'a attirée, voyageant moi-même, plusieurs fois par semaine, sur ce trajet de train.
Le roman est ainsi découpé en chapitres calqués sur les différentes gares traversées, mais le décor suisse laisse vite la place aux souvenirs de Margarita. Comme le doux bercement d'un train, Antonio Soler nous emmène dans un récit plutôt lent et contemplatif, où il alterne observations des autres passagers et réflexions sur le passé. D'une plume sensible qui devient aussi parfois sur-écrite à mon goût, le lecteur découvre les fêlures de l'âme de Margarita.
J'ai aimé l'idée de ce microcosmos calfeutré qu'est le wagon de train pour nous faire découvrir, derrière le masque de son visage impassible, les pensées les plus profondes de cette femme bafouée, à la fois résignée et persuadée de récupérer un jour son mari. Les observations de Margarita concernant ses compagnons de voyage m'ont également rappelé mes habitudes de pendulaire. Qui n'a jamais essayé d'imaginer la vie de ses voisins de compartiment (surtout après une conversation téléphonique partagée avec tout le wagon, le fameux, "je suis dans le train, je peux pas trop te parler", suivi de vingt minutes de détails qu'on penserait plutôt personnels). Une ambiance donc qui m'a plu dans ce roman, accompagnée d'une intrigue simple, volontairement banale, que vous pourriez justement deviner derrière le visage triste de cet autre passager.
Une phrase qui m'a particulièrement plu sur la mort du père de Margarita:
" Un homme moribond, mon père, et moi avec ma peur, perdus là-bas, nous tenant par la main dans un hôpital de Lyon, dans cette chambre comme une capsule hors du monde, un endroit, comme ce train, pensé lui aussi pour le passage." p. 115
Un récit tout en retenue et en simplicité, parsemé de très belles phrases mais que j'ai trouvé un peu inégal et probablement pas inoubliable.
«Nous étions trois coeurs tressautant sur le plateau tournant d'une roulette un peu bancale. Aucun des trois n'était meilleur que les autres.»
Les trois coeurs, ce sont ceux de Margarita, de Jésus, son époux, et de Susanne, la femme qui fut sa maîtresse pendant sept ans. Une histoire faite de non-dits et de blessures, que revit au fil d'un voyage en train Margarita, la narratrice de ce roman troublant. De Genève à Lausanne, au gré des paysages qui défilent, des arrêts en gare, et des cahots de la mémoire, c'est toute sa vie qui se déploie : les années à Lyon auprès de parents républicains espagnols, les hantises enfantines, le mariage sans passion, l'amie devenue rivale, la mort qui frappe.
Avec son art consommé du récit et son écriture obsédante, l'auteur du Chemin des Anglais (prix Nadal) explore la subjectivité tourmentée d'une femme et revisite des thèmes qui hantent toute son oeuvre : l'obsession du passé et l'impossible pardon.
Antonio Soler est né à Malaga (Andalousie) en 1956. Chacun de ses neuf romans lui a valu dans son pays un ou plusieurs prix. En 2004, Le Chemin des Anglais a été couronné par le prestigieux prix Nadal. Lausanne est le sixième titre d'Antonio Soler à paraître en français chez Albin Michel après Les Héros de la frontière (1999), Les Danseuses mortes (2001), Le Spirite mélancolique (2004) et Le Sommeil du caïman (2009).
Je remercie les éditions Albin Michel pour cette découverte.
SOLER Antonio, Lausanne, ed. Albin Michel, novembre 2012, 287p., traduit de l'espagnol (Espagne) par Séverine Rosset
SOLER Antonio, Lausana, ed. Random House Mandadori, 2010
le "père Noël" me l'a apporté, suivant les recommandations de ma librairie préférée... on verra !
RépondreSupprimer@Kathel: Je pense qu'il pourrait te plaire. Je l'ai lu pendant les périodes de Noël, entre les dernières courses et la chasse aux cadeaux de dernière minute. Je crois que je l'aurais davantage apprécié dans une période plus calme. A relire peut-être une fois, sur un trajet Genève-Lausanne. Curieuse de connaitre ton avis...
RépondreSupprimerUn peu claustro, je crois que je vais éviter cette lecture.
RépondreSupprimerIdéal pour le challenge d'Une Comète. Sinon, je le lirai à l'occasion.
RépondreSupprimer@Alex: Hé hé, tu n'es quand même pas claustro dans un train, si? Je pense que tu peux te passer de cette lecture, même si la plume de l'auteur reste intéressante à découvrir...
RépondreSupprimer@Philisine: Grâce à toi, je découvre le blog d'Une Comète que je ne connaissais pas et son challenge. Effectivement, ça tombe pile poil dans le thème.
J'aime beaucoup ton billet car moi aussi j'ai fais ce trajet pendant un an. Mais bon si elle prend le direct c'est 33 minutes et pour lire son roman c'est un peu court ;-) sinon l'autre c'est 50 minutes.
RépondreSupprimer@Eléa: 33 minutes, c'est un peu short, effectivement mais le livre se lit quand même plutôt bien. Si tu connais le trajet, je pense que tu pourrais être séduite par le contexte, l'ambiance de ce livre. Le fond est un peu léger mais pas déplaisant non plus. Donne-moi des nouvelles si tu te lances...
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