Le Français de Julien Suaudeau

Rentrée littéraire 2015

Pour ceux qui aiment: Les Bienveillantes de Jonathan Littell

Comment un jeune français presque sans histoire, originaire d'Evreux, peut-il se retrouver à la une des médias du monde entier, dépeint comme l'horrible bourreau à la solde des djihadistes syriens? C'est ce que décrit Julien Suaudeau dans ce second roman, le Français.  

Le Français est un roman d'actualité brûlante. Peut-être trop d'ailleurs, au point où j'ai interrompu ma lecture à plusieurs reprises en raison des événements récents à Paris, aux USA, en Belgique, en Syrie, au Liban, au Nigeria, etc., etc. Ensevelie toute la journée sous des nouvelles plus sombres et déprimantes les unes que les autres, je n'arrivais tout simplement plus à me plonger le soir dans un roman abordant le même sujet. J'ai tout de même fini par atteindre la dernière page et mon avis est au final un peu partagé. 

Julien Suaudeau construit le portrait d'un banlieusard standard, d'un gamin un peu paumé oui, mais loin du voyou en quête de violence ou de l'extrémiste salafiste; un jeune comme il y en a des milliers dans nos pays, pas toujours bien dans leur peau mais très éloigné du profil fiché par nos autorités. Pourtant, après une suite de mésaventures plutôt banales et de mauvaises rencontres, le narrateur se retrouve à tuer des innocents en Syrie. 

J'ai trouvé ce parcours assez déprimant. Suaudeau tente de nous montrer qu'un bourreau sommeille potentiellement en chacun de nous, un peu à l'image de Aue dans Les Bienveillantes. C'est un gars qui fait le mal par ignorance, par indifférence, par malchance et même parfois pour ce qu'il croit être bien. Une vision bien sûr effrayante de la réalité mais probablement en partie correcte. Cependant, l'intrigue de Le Français ne m'a pas toujours paru crédible. J'ai trouvé la plupart personnages trop caricaturaux (je pense à Romain, Ali, etc.) et certains rebondissements, surtout sur la fin, semblent très forcés et artificiels.

Suaudeau offre ici une réflexion intéressante sur un des phénomènes les plus dangereux de notre époque, à savoir la radicalisation et le tourbillon de violences qui peuvent embarquer tout un chacun. Cependant, les invraisemblances de l'intrigue et le contexte lourd de ces dernières semaines font que je n'ai pas pu apprécier ma lecture plus que cela. A retenter peut-être dans quelques mois. 

Qu'y a-t-il dans la tête et le coeur de ces petits Français « de souche » qui partent se faire tuer en Syrie au nom du djihad ? Le Français est la réponse romanesque à cette interrogation.
Le narrateur, dont on ne connaîtra pas le nom, broie du noir dans sa Normandie natale, zone grise entre province et grande banlieue de Paris. La belle Stéphanie éclaire un temps la monotonie de ses jours, mais elle n'est qu'un mirage. Puisque l'horizon est sans issue, pourquoi ne pas fuir ? Ce sera d'abord l'Afrique, au Mali, dans le sillage d'individus peu recommandables. Aux portes du désert, il suffit de se rêver grand pour le devenir. Cette illusion-là non plus ne dure pas longtemps. Le rêve se termine quelque part en Syrie, dans une forteresse djihadiste ou les hommes ont oublié leur humanité. Le Français, dont nous avons suivi pas à pas le chemin, y devient un monstre presque contre son gré. Sa lucidité d'enfant perdu est un cri déchirant dont l'écho se prolonge bien après la dernière page.
En faisant parler son anti-héros à la première personne, Julien Suaudeau nous oblige à partager ses sentiments, ses peurs, ses envies. L'horreur du monde contemporain, vue mille fois dans les médias, devient une matière complexe et riche en nuances. Au-delà de sa résonance avec la réalité, ce parti pris audacieux donne un texte puissant, porté par une voix autre, un sens du détail et des dialogues qui évoque les grands naufragés du roman américain.

Merci aux éditions Robert Laffont pour l'envoi de ce livre.

SUAUDEAU Julien, Le Français, ed. Robert Laffont, août 2015, 216 p.

Commentaires

  1. Pfff oui sujet trop brûlant, qui résonne trop avec l'actualité pour que je m'y risque, et pourtant ça a l'air très intéressant. Peut-être plus tard, quand je serai moins fatiguée de notre réalité.;-)

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    1. La fiction permet de plonger dans cette thématique et d'aller parfois plus loin... Dans ce sens, il faudrait probablement lire ce genre de roman aujourd'hui, pour essayer de comprendre ce qui se passe dans notre monde. Mais bon, je comprends le manque de motivation ;-)

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    2. Petite parenthèse LC. Keisha nous rejoint pour Brink. Et possiblement une autre lectrice. Tu partirais sur quelle date ? Fin février ? On lit Karel Schoeman le 14/02 aussi. Et au fait, où en est le projet Gary ? :-P
      Bon, j'espère que tout se passe bien sinon avec le nouveau petit membre de la famille.:-)

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    3. Aah au fait, on partirait sur mars pour le Brink, vers le 7, j'espère que ça t'arrange aussi.;-)
      Bonnes fêtes de fin d'année !

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    4. Désolée pour mon long silence, c'est hallucinant comme les journées passent vite. Ca marche pour le Brink le 7 mars, je vais essayer de mieux faire qu'avec notre LC Gary ;-) Et je note aussi pour Schoeman mais je ne garantis rien...

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  2. Un roman qui en effet peut être difficile à lire aujourd'hui, alors que nous sommes saturés d'information. Mais c'est intéressant d'essayer de comprendre le parcours de gens comme lui...

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    1. Exactement. Là il y a un côté perturbant car le héros n'est pas du tout un sale type, juste un jeune paumé. Ca rend le tout encore plus effrayant.

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  3. Un roman qui a l'air difficile à lire, quel que soit le contexte.

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    1. Le sujet est difficile, oui, mais le roman se lit très bien et le style est très fluide. Il faut juste avoir envie d'aborder cette thématique.

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