Croix de bois, croix de fer de Thomas Sandoz

C'est dans un petit hôtel de l'Oberland bernois que le narrateur arrive, en pleine tempête. Il a été invité à une conférence dont le thème est "L'impératif missionnaire" pour parler de son frère, grande figure aujourd'hui disparue du missionnariat en Afrique.
Au milieu des louanges, le narrateur tente de faire entendre sa version. Loin du bienfaiteur héroïque, c'est le souvenir de son frère presque tyrannique qu'il souhaite partager. Mais il comprend très vite que l'auréole d'un saint ne se brise pas si facilement.

Le missionnariat aujourd'hui! Sacré sujet quand même pour un roman. De manière générale, je fuis tout sujet religieux en littérature mais là, j'ai décidé de me lancer pour deux raisons: la première, il s'agit d'un auteur suisse et j'ai pris la bonne résolution de découvrir un peu plus la littérature de mon pays (cocoricooooo... ah non, c'est coucou coucou chez nous); la deuxième c'est que le sujet est ici traité de manière assez critique.

Un thème original donc, pour un huis clos étouffant, où l'auteur alterne entre les souvenirs de famille du narrateur et la conférence à laquelle il assiste en clair outsider: il est celui que son frère a décrit comme le paria de la famille dans sa biographie et l'attitude des autres participants est loin d'être bienveillante.

J'ai trouvé la thématique qui oscille entre critique de l'évangélisation, conflit fraternel et poids de l'héritage familial vraiment intéressant. Que faire quand on grandit dans une famille "dévouée au bonheur des autres" et qui pourtant se soucie peu du vôtre et qui considère votre malêtre comme de l'égoïsme et un manque de foi. Croix de bois, croix de fer est au final le récit d'une incompatibilité familiale, d'une incompréhension insurmontable, d'un dialogue impossible entre les gens qui ont reçu "l'appel de Dieu" et ceux qui n'y croient tout simplement pas.

"Le creuset familial avait fait de moi le pire hybride qui soit: un agnostique pétri de valeurs protestantes. La culpabilité et le sens du devoir, sans l'espérance ni la justification. Je suis perdant sur tous les plans. Je prends en plein face tous les malheurs du monde, mais je crois que prier ne suffit pas."

La plume de Sandoz est claire, précise et le tout se lit très bien. Le rythme est toutefois assez lent et j'ai trouvé certaines parties un peu répétitives. Le retour systématique au présent et à la conférence donne bien évidemment un fil rouge et un contexte au roman mais n'apporte au final pas grand-chose. A mon avis, le tout aurait pu être aussi légèrement raccourci.

Un roman sur le thème original des évangélistes mais qui pousse la réflexion plus loin pour aborder de manière universelle la question de savoir ce que c'est que "faire le bien". Une histoire qui prend son temps mais qui provoque pas mal de réflexions; à voir si j'accrocherais également à d'autres romans de l'auteur sur un sujet moins "provocateur".

« Qu’est-ce que tu fais pour les autres ? me sermonnait sans cesse mon frère, convaincu que son chemin de vie était plus méritoire que le mien. C’est lui qui perpétuait la tradition missionnaire de la famille, il en était fier et ne manquait jamais une occasion de me reprocher de n’être ni médecin ni instituteur, même pas croyant. »

Appelé à prendre la parole lors d’un colloque en hommage à son frère, longtemps missionnaire en Afrique centrale, le narrateur se remémore les lumières et orages de leur jeunesse. Persuadé d’être le seul à connaître le vrai visage de ce « bon Samaritain », et pris au piège d’une assemblée aveuglée par la foi et l’admiration, il va devoir batailler pour faire entendre sa voix au milieu du concert des louanges. Il apprendra, au fil des réminiscences, qu’on ne tourne pas le dos à son éducation sans en payer le prix.

Comédie grinçante en huis-clos, déclaration de guerre rageuse au déterminisme de la famille, Croix de bois, croix de fer, entre colère et nostalgie, révèle sous un jour inattendu les coulisses de l’imaginaire d’un des jeunes écrivains les plus talentueux de la Suisse francophone.

Merci aux éditions Grasset pour cette découverte.

SANDOZ Thomas, Croix de bois, croix de fer, ed. Grasset, mai 2016, 336p.

Commentaires

  1. Un très bel écrivain, à la plume volontiers exigeante - je pense à "Malenfance", plus court que "Croix de bois, croix de fer", ou à "Les Temps ébréchés", sur une femme qui atteinte d'une maladie dégénérative qui la rend sourde progressivement, recueille des sons à garder en mémoire.

    A noter par ailleurs que Thomas Sandoz s'est aussi intéressé au chanteur et poète Allain Leprest et... à l'inspecteur Derrick.

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    1. A priori, je dirais que Les Temps ébréchés pourraient me tenter. Je crains juste le côté un peu trop contemplatif et lent de Sandoz. A voir...

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  2. Je ne connais pas cet auteur. Le sujet de ce roman est tout à fait original, pas du tout conventionnel (les romans sur la foi et la religion ne sont pas vraiment tendance...). Je le lirai sans aucun doute s'il croise ma route.

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    1. Effectivement, cette originalité du sujet m'a attirée alors que d'habitude, tout ce qui touche à la religion... En plus, j'ai aimé le traitement de la relation de ces deux frères, c'est très réaliste et très bien décrit.
      Ca me fait penser à un livre lu récemment dans le contexte d'un prix, Le complexe d'Elie de Marion Muller-Colard. J'ai beaucoup aimé la plume de l'auteur mais sa profession de foi m'a complètement bloquée. Comme quoi, la fiction utilisée par Sandoz peut faire passer beaucoup de choses.

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  3. Une chronique qui donne envie de découvrir cet ouvrage :)

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    1. On en a pas tellement entendu parler sur la blogosphère en plus... Dommage!

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  4. Je note les titres plus courts donnés par Daniel.

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    1. Tous ses livres ont l'air complètement différents. Je pense qu'il y a de quoi faire...

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  5. "Coucou coucou", haha, excellent ! Ben écoute, il me semble que je n'ai pas lu grand chose au rayon suisse, et comme la thématique de ce livre me paraît intéressante telle que tu la présentes, je vais me le noter pour une prochaine lecture suisse.

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    1. Ca change en tous cas de ce qu'on lit d'habitude... Et rayon suisse, as-tu lu Dürrenmatt? Certains de ses romans sont soit très noirs, soit complètement délurés. A priori, je dirais que tu devrais accrocher.

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  6. Pour exactement les mêmes raisons que toi, je note ce titre. "Coucou coucou !" ;-D J'ai, par ailleurs, entendu du bon de cet auteur.

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