L'imposteur de Julian Gloag
Pour ceux qui aiment: Beryl Bainbridge
Le 7 mai 1945, jour de la capitulation allemande à Reims, Paul Molphey, fils d'un colonel-résistant mort au combat et d'une artiste juive déportée, couche sur le papier les premiers mots de son roman. Sous l'aile de son grand-père à qui il a été confié pendant la guerre, Paul noircit les pages de ce qu'il pressent être un grand roman. Les jours s'écoulent doucement dans ce petit village de province et les souvenirs de la guerre s'effacent petit à petit, laissant la place au flirt de jeunesse avec la charmante Arlette. Son roman achevé, Paul décide de rejoindre Paris et l'appartement légué par ses parents avec sa jeune épouse et dans sa valise, le précieux manuscrit qu'il compte confier à un cousin éditeur. Mais quand la valise disparait, c'est toute la destinée de Paul qui se voit remise en question.
Difficile de résumer ce livre sans trop en dire (d'ailleurs évitez le quatrième de couverture, que j'ai raccourci ci-dessous). Ce n'est pas que l'intrigue de L'imposteur soit palpitante et pleine de surprises. Au contraire, il ne s'y passe rien de particulièrement exceptionnel, seulement la monotonie d'un petit village de province dans les années 40-60. On aurait tendance à trop en raconter pour attirer le lecteur, alors que l'intérêt de ce roman, qui date de 1981, n'est pas là selon moi.
Julian Gloag nous décrit donc la vie à Sainte-Colombe-sur-Saye, à travers les yeux de Paul, habitant clef du village mais resté à jamais le parisien, l'intellectuel. On découvre ainsi peu à peu les secrets de village, les amours interdits, les rancoeurs, le noyau formé par les trois "ennemis" traditionnels que sont le médecin, l'instituteur et le curé, les histoires de voisinage... mais une fois encore, on ne peut pas vraiment dire que la vie villageoise soit au centre de ce roman, qui jongle à travers les époques, de manière aléatoire, sans pourtant perdre son lecteur.
Non, L'imposteur n'a pas d'intrigue centrale; il parle à la fois de l'après-guerre, d'écriture, de tromperie, d'entrée dans la vie adulte, des difficultés de la vie de couple, de la dynamique des sociétés villageoises, des années 50. Ca peut sembler fouilli, mais pourtant, le tout se lit sans même y penser. On traverse avec empathie la vie de Paul, personnage détruit, passif mais attachant, en espérant qu'un déclic s'opérera, qu'il arrivera à être heureux et à retrouver le destin lumineux qui aurait dû être le sien. Les autres personnages passent dans ce roman, y laissant simplement une petite marque, un peu d'empathie, sans en voler la vedette. Le roman a un petit côté nostalgique et lancinant, sans jamais être ennuyeux. Le style est toujours juste et sans fioriture, comme si l'écriture se faisait sans effort.
Il m'est difficile d'expliquer pourquoi j'ai passé un bon moment avec L'imposteur, mais ce fut le cas. Tout s'enchaine parfaitement, sans excès et sans aspérité. Un roman à la simplicité calculée d'un auteur anglais dont je découvrirai volontiers le reste de l'oeuvre.
Le jour de 1946 où Paul Molphey, monté à Paris, perd son manuscrit à la suite d'un stupide échange de valises à la gare, son existence bascule. Anéanti, il oublie son roman et s'enterre en province, abandonné par sa femme et ses deux filles. Il mène une existence de plus en plus solitaire, comme si le fait d'avoir raté la première marche le condamnait à trébucher sur toutes les autres (...).
Julian Gloag, romancier anglais né à Londres, est l'auteur d'une oeuvre rare, saluée par la presse et distinguée par les jurys littéraires depuis plusieurs décennies : Le tabernacle (1964), N'éveillez pas le chat qui dort (1982), L'amour, langue étrangère (1994), Le passeur de la nuit (1996)... II vit en France.
Livre lu dans le cadre des Jeudis Critiques sur Entrée Livre, que je remercie, ainsi que la Librairie Decitre, pour l'envoi de ce livre.
GLOAG Julian, L'imposteur, ed. Autrement, mars 2013, 315p., traduit de l'anglais (Angleterre) par Henri Yvinec.
GLOAG Julian, Lost and found, ed. Simon and Schuster, 1981
Me voilà partagée... car autant le sujet ne m'emballait pas dès les premières lignes (et en plus il ne s'y passe rien d'exceptionnel, montonie d'un village...^^), autant ton billet intrigue et donne envie de creuser plus loin tout de même...
RépondreSupprimercontente de lire ton billet, car il me titille depuis un moment. J'espère que ma biblio l'achètera.
RépondreSupprimerMalgré ton avis positif, j'hésite encore.
RépondreSupprimer@A Girl: Je dirais que ce n'est pas un indispensable mais j'ai beaucoup aimé le style de l'auteur, tout simple mais qu'on a pas envie de lâcher. Typiquement le genre de livre à lire dans un hamac, sans se presser...et loin de la folie de la rentrée. Tu me rediras si tu te lances, avec celui-ci ou un autre de ses livres plus "british".
RépondreSupprimer@Lewerentz: S'il arrive à ta biblio, je n'hésiterais pas. Quant à moi, j'espère trouver Le Passeur de Nuit ou N'éveillez pas le chat qui dort à l'occas.
@Alex: Je comprends, comme ça, ça n'a pas l'air super enthousiasmant. Mais c'est une belle plume, un style à découvrir. Peut-être que les intrigues de ses autres romans te parlent plus?
Difficile parfois d'expliquer pourquoi on aime un roman.
RépondreSupprimerLa vie villageoise, ça m'effraie un peu...
RépondreSupprimer@Alex: Oui, surtout s'il n'a "rien d'exceptionnel" mais qu'au final tout fonctionne. C'est étrange parfois...
RépondreSupprimer@Sandrine: Alors ce n'est pas du tout la vie villageoise avec les vaches et le gros fermier. Déjà l'ambiance des années 50-70 est bien particulière et le cadre du village sert plutôt à accentuer le décalage entre la vie du héros, destiné à une carrière flamboyante à Paris et qui se retrouve paumé au milieu d'un petit village. Autrement, je pense que tu peux essayer un autre de l'auteur. Sauf erreur, il y a du campus cambridgien, si ça te parle plus ;-)