La nuit des secrets de David Doma
Pour ceux qui aiment: Les Bienveillantes de Jonathan Littell
Au crépuscule de sa vie, Isaac Golder, auteur au succès
international, décide de révéler le secret qui le ronge depuis des
années : le livre qui a lancé sa carrière a en fait été écrit par son
amour de jeunesse, Rachel, une jeune juive par la suite déportée. L’annonce fait le tour du monde et la tempête médiatique déferle
tant sur Isaac que sur Rachel, cette dernière ayant survécu à la déportation et
vivant depuis en Italie. La nouvelle a également des répercussions bien au-delà
des frontières de l’Europe, jusqu’en Argentine, où le jeune Juan reconnait dans
le nom de l’auteur caché de La Toile, celui de la prisonnière juive qui avait
tant fasciné son père SS. A travers les confessions croisées de ces trois
personnages, le lecteur découvre l’étrange parcours de Rachel et l’horreur du
camp de Ravensbrück.
Quand il s’agit de romans sur la deuxième guerre mondiale,
on distingue en général deux groupes de lecteurs :
a) ceux qui sont fans
et qui se précipitent sur ces romans; malgré l’horreur de cette
guerre, difficile de choisir un sujet plus romanesque, plus ancré dans notre
histoire et donc apte à interpeller un grand nombre de lecteurs.
b) ceux
qui y sont allergiques ou tout simplement lassés; difficile de choisir
un sujet plus rabattu et peu original pour un roman.
Je suis en fait un peu entre ces deux groupes (ce qui
bousille du coup ma théorie, mais passons) : je sature un peu sur le sujet
mais je n’y suis pas non plus totalement réfractaire et espère à chaque fois
que le sujet peut être traité de manière originale, que l’histoire sera bien
construite, les personnages attachants et que le sujet, qui peut paraître un
peu bateau, cache en fait une intrigue inoubliable.
La nuit des secrets a en partie satisfait mes attentes. J’ai
beaucoup aimé l’approche initiale du livre : l’entremêlement des réflexions
d’Isaac qui retrouve l’amour de sa vie et la source de sa culpabilité ;
les lettres de Juan qui nous emmène sur les traces de la fuite des SS en
Argentine ; et enfin la longue confession écrite de Rachel, témoignage de
sa vie dans le camp et tentative d’explication de ses choix après la guerre.
Sans être une spécialiste, les descriptions de la vie à
Ravensbrück m'ont paru plutôt fidèles aux sources historiques. Malheureusement, elles m'ont aussi donné l'impression de lire pour la
centième fois le même récit. Alors oui, on ne peut, à mon avis, jamais trop lire
sur l’horreur de la Shoah, mais je n’ai pas trouvé dans ces passages le brin
d’originalité ou de puissance qui donne à ces romans une valeur ajoutée comparé
aux témoignages de survivants, dont la force peut rarement être surpassée. Pour moi l’intérêt du roman de David Doma réside plus
dans les détails donnés par Rachel sur son retour difficile en France, le passage par l’hôtel
Lutetia, et son besoin de fuite. J’ai
également lu avec intérêt les passages consacrés à Horst Wolf, qui relate la vie d'un SS à
Ravensbrück et présente un personnage à la fois humain et
détestable, un peu comme le Maximilian Aue de Jonathan Littell. Les détails de
sa fuite en Argentine et la relation avec son fils Juan ouvre tout un champ de
questions sur le destin de ces criminels de guerre, exilés de l’autre côté de
l’Atlantique.
Malgré cela, La nuit des secrets m’a paru parfois un peu
trop scolaire ; l’auteur couche sur le papier le résultat de recherches
apparemment substantielles sur le sujet, abordant des thèmes et des
perspectives originales, mais obtenant au final un récit qui manque parfois un
peu de souffle. Certains passages paraissent tirés d’un manuel d’histoire où
les personnages de David Doma sont comme collés maladroitement et l’alternance des trois voix engendre quelques
répétitions.
Ces quelques maladresses mises à part, j’ai passé un bon moment avec
La nuit des secrets. Ayant beaucoup lu sur le thème de la deuxième guerre, je
pinaille probablement plus que nécessaire et j’espère que je ne vous
découragerai pas de découvrir ce roman, dans l’ensemble bien écrit et bien mené.
Une lecture qui enchantera certainement les passionnés du sujet mais qui peut
également étonner même les plus récalcitrants.
Isaac Golder est un auteur célèbre dans le monde entier qui a bâti sa
gloire littéraire sur un mensonge. À 82 ans, il avoue publiquement avoir
volé le roman qui l'a fait connaître à son amour de jeunesse, une jeune
femme déportée à Ravensbrück en 1943, rescapée du camp mais disparue
depuis la fin de la guerre. Tandis que les conséquences du scandale qui
s'ensuit se répandent comme une traînée de poudre à travers le monde, un
jeune Argentin d'origine allemande, fils d'un sous-officier ayant sévi à
Ravensbrück, entame une correspondance avec l'imposteur repenti afin de
dissiper les ombres de l'histoire familiale.
Au fil de ces lettres, le passé remonte à la surface, certains masques se fissurent, révélant des identités toujours plus incertaines, et ceux qui croyaient s'être affranchis de leur histoire doivent enfin s'y confronter.
Au fil de ces lettres, le passé remonte à la surface, certains masques se fissurent, révélant des identités toujours plus incertaines, et ceux qui croyaient s'être affranchis de leur histoire doivent enfin s'y confronter.
David Doma est né en 1967 à Paris. Il a voyagé dans divers pays et a
publié des nouvelles dans des revues et magazines. Son premier roman,
L'Inconnue, est paru en 2008. La Nuit des secrets, son second roman, lui
a demandé quatre années de recherches.
Livre lu dans le cadre de La Voie des indés de Libfly, que
je remercie ainsi que les éditions Intervalles pour la découverte de ce livre.
DOMA David, La nuit des secrets, ed. Intervalles, mai 2013, 315p.
Cela ne t'étonnera pas : je passe mon tour ;) Le résumé semble original mais si c'est pour se rabattre sur des sujets déjà tellement traités, ça ressemble à une fausse bonne idée...
RépondreSupprimerHi hi, j'ai pensé à toi quand j'ai rédigé ma description du groupe b) ;-) Donc non, pas du tout étonnée, même si oui, au moins l'approche et la construction du livre sont bien plus originales que le 90% des livres écrits sur le sujet.
SupprimerJe fais partie de la 2è catégorie. Enfin, pas allergique mais à choisir, je préfère m'évader vers d'autres thématiques maintenant.:-)
RépondreSupprimerZut, décidément! J'étais assez embêtée avec ce billet car le livre est bon mais quand même, les camps, la deuxième guerre mondiale, c'est à la fois un sujet casse-gueule et le choix de la facilité. Apparemment, le thème de son premier roman, L'inconnue, n'a rien à voir: une histoire d'enquête et de quête d'identité...
SupprimerJe ne suis pas d'accord. Ce roman, 'La nuit des secrets', est un chef-d'oeuvre. Je l'ai lu deux fois. Ce texte me hante.
RépondreSupprimerC'est un livre marquant, oui, mais pour moi, un chef d'oeuvre est une oeuvre qui dépasse et se différencie de toutes les autres. Je classifie volontiers La nuit des secrets dans les très bons livres écrits sur le sujet mais au-dessus de tous, non. Peu importe au final, je suis contente que ce livre vous ai marqué, c'est ce qui compte en littérature, non?
SupprimerTa comparaison avec Les Bienveillantes me pose question : est-ce que j'ai aimé ce livre, finalement ?
RépondreSupprimerJe n'ai pas tout aimé dans les Bienveillantes, il y a même une bonne centaine de pages que j'aurais volontiers mises à la poubelle (hum hum). Mais j'avais trouvé intéressant de se positionner du côté des tortionnaires. Il est bien sûr délicat d'humaniser les SS avec les atrocités commises, mais il est aussi naïf et peut-être trop facile à mon avis de croire qu'ils étaient tous des détraqués monstrueux. On retrouve un peu cette vision dans La nuit des secrets, mais en beaucoup moins "trash". A tenter peut-être...?
SupprimerLe roman, 'La nuit des secrets', selon moi, va bien plus loin qu'une simple histoire de nazisme. Il parle de l'humain, de ses contradictions, change les codes du roman historique classique. Rien de ce qui se passe dans le camp n'est banal (une juive que fascine un nazi; ce dernier qui prend des risques pour elle, une juive qu'un officier allemand fait passer pour une non-juive pour pouvoir entretenir une relation troublante avec elle, les rapports pere-fils au milieu de la tourmente, etc). De plus, ce livre explique comment les nazis ont pu fuir l'Europe apres la seconde guerre mondiale avec des anecdotes fort rares et toutes vraies (on peut verifier sur le Net). Mais, avant tout, comme je l'ai dit, c'est un roman sur l'humain avant d'etre un roman historique ; il a aussi un suspense incroyable. D'ailleurs, toutes les autres critiques sur Internet sont excellentes et une critique professionnelle du magazine 'Psychologies' compare meme ce livre a un roman de Philip Roth !! C'est dire...
RépondreSupprimerPas banal, je suis d'accord, mais en même temps, on retrouve ce genre de schéma dans d'autres oeuvres (La liste de Schindler par exemple, si je me rappelle bien). Il est normal également d'imaginer ce genre de scénario dans une fiction, autrement à quoi bon lire des romans quand on peut être confronté à la réalité froide d'un témoignage de rescapé.
SupprimerVous soulignez que tout est basé sur des anecdotes vraies; si je reconnais l'énorme travail de recherche, cet aspect est justement ce que je reproche en partie au livre. A quoi bon lire un roman si je peux lire la même chose dans des sources historiques? Certains passages m'ont paru "recopiés" (attention, je n'accuse pas du tout l'auteur de plagiat), comme les éléments sur l'implication du Vatican ou la relation un peu artificielle avec Eichmann, dont la fuite est justement si bien documentée.
Les autres critiques que j'ai lues sont effectivement très bonnes, mais cela influence rarement mon avis posté ici... tout comme les comparaisons dans les magazines (à quoi bon tenir un blog d'avis personnels autrement).