Un appartement sur Uranus de Paul B. Preciado

Un appartement sur Uranus rassemble une septantaine de chroniques écrites pour le journal Libération par Paul B. Preciado entre 2013 et 2018, période qui correspond à sa transition sexuelle de femme à homme. Il y est ainsi beaucoup question de genre mais pas uniquement. Car Paul Preciado est un militant, révolté par ce qu'il appelle l'hétérosexisme et de manière plus générale par les normes imposées par notre société dirigée par le 'capitalisme technoscientifique'. Ses chroniques alternent ainsi entre récit de sa transition et actualité, de la crise grecque au référendum catalan.

Ce livre m'a été offert par une amie, avec qui j'ai beaucoup discuté de la problématique du genre ces derniers mois. Sans être une passionnée du sujet, je me pose quand même des questions depuis que je suis maman. Comment mon éducation et mes a priori peuvent influencer mes enfants? Pourquoi j'hésite à mettre du rose à mon fils? Pourquoi je tique à le voir jouer avec une poussette? En somme, comment inculquer à mes enfants des valeurs de respect et d'ouverture, de liberté de se définir comme ils le souhaitent, sans non plus trop en faire? C'est justement avec la limite de ce "trop" que j'ai eu l'impression de flirter durant ma lecture de Un appartement sur Uranus. Rien d'étonnant quand on pense que le bandeau éditorial annonce "une nouvelle révolution sexuelle".

J'ai tout d'abord aimé le point de départ de la pensée de Preciado qui est de rejeter la catégorisation imposée par notre société. Pourquoi au final doit-on toujours se définir comme homme ou femme, comme hétéro ou homo, comme blanc ou noir? Nos identités ne peuvent-elles pas être plurielles? Preciado a ainsi cherché à flouter ces cases en commençant par prendre une petite dose de testostérone, le rendant "gender fluid", jusqu'à finalement céder à l'injonction sociétale en décidant de devenir homme complètement. L'introduction et les chroniques traitant de son ressenti et des étapes importantes de sa transition sont clairement celles que j'ai préférées et correspondent à ce que je recherchais dans ce livre, peut-être à tort. Même si cela peut paraître voyeur, j'aurais clairement souhaité que cela soit plus approfondi.

En dehors des chroniques sur son expérience personnelle, reste donc une majorité de tribunes plus politico-philosophiques où nos avis ont divergé. Comment Preciado peut-il par exemple affirmer qu'il est peu scientifique de dire qu'en termes biologiques, il faut un homme et une femme pour avoir reproduction? Ou que le consentement est propre à l'esthétique queer? C'est à ce niveau que pour moi Preciado va trop loin. En tant que femme hétérosexuelle, mariée et mère, bref totalement dans la "norme sociale", je me suis parfois sentie comme attaquée durant ma lecture, comme si j'étais stupide, rétrograde et soumise à l'injonction d'un système patriarcale alors que la liberté passait forcément par le refus de la procréation et la transsexualité. Je pense qu'il n'est pas nécessaire d'attaquer le schéma "classique", ou comme il le nome "l'hétérosexualité nécropolitique hégémonique", pour faire accepter d'autres voies et j'aurais voulu que Preciado revendique le respect de ses choix de vie, sans dénigrer à demi-mots les miens. 

Bref, si je n'ai pas totalement trouvé satisfaction dans les chroniques de Preciado sur les questions de genre, j'ai malheureusement carrément sombré dans celles traitant de sujets plus politiques. J'ai trouvé les attaques constantes contre le "nécrolibéralisme" ennuyeuses à mourir. En essayant de m'abstenir de juger les opinions politiques de Preciado, qui ne sont certes pas totalement compatibles avec les miennes d'où une partie de mon agacement, ce sont également dans ces chroniques-là que j'ai trouvé le style plus ampoulé et prétentieux, adoptant une terminologie révolutionnaire faite de néologismes composés des plus exaspérante. 

Un appartement sur Uranus est un livre qui aura au final en partie heurté mes opinions et c'est probablement là le but de Preciado. J'aurais toutefois voulu qu'il m'explique et approfondisse sa pensée pour me permettre de mieux la comprendre à défaut de la partager en tout point. Je pense que le format de cet assemblage chronologique de chroniques écrites pour la presse explique en grande partie cette frustration. Alors qui sait, j'essaierai peut-être un jour un vrai essai de l'auteur...

Je ne suis pas un homme je ne suis pas une femme je ne suis pas hétérosexuel je ne suis pas homosexuel je ne suis pas bisexuel. Je suis un dissident du système genre-genre. Je suis la multiplicité du cosmos enfermée dans un régime politique et épistémologique binaire, et je crie devant vous. Je suis un uraniste confiné dans les limites du capitalisme technoscientifique. 

"Paul B. Preciado écrit entre les possibles — et ce faisant il déploie un autre possible. Il fait la politique avec un enthousiasme contagieux, sans aucune hostilité. Ce livre est l'histoire de ses transitions. Cette histoire n'est pas celle du passage d'un point à un autre, mais de l'errance et de l'entre-deux comme lieu de vie. Une transformation constante, sans identité fixe, sans activité fixe, ni adresse, ni pays : les transitions sont sa maison. Et cette maison, vous lecteur, si vous y entrez, vous ne voudrez plus jamais la quitter tout à fait, jamais oublier sa langue intermédiaire, sa langue crossroad, sa langue en transition." Virginie Despentes 

Philosophe et commissaire d'exposition, Paul B. Preciado est notamment l'auteur de Manifeste contra-sexuel (Balland 2002), Pornotopie (Climats, 2011, prix Sade de l'essai) et de Testo Junkie : sexe, drogue et biopolitique (Grasset, 2008).  

Popsugar challenge 2019: §33 Un livre avec un signe du zodiaque ou un terme astrologique dans le titre
PRECIADO Paul B., Un appartement sur Uranus, ed. Grasset, mars 2019, 336p.  

Commentaires

  1. Je ne suis pas fan de chroniques rassemblées dans un livre.

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    1. Ce n'est pas ce que je préfère non plus et là, le fait que cela soit assemblé chronologiquement ajoute au sentiment de décousu à mon avis.

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  2. très bon billet et j'ai lu un autre texte qui m'avait aussi fait réagir sur leur rejet de la norme, au lieu de dire tout simplement qu'il y a x/y variations naturelles et que nous devons tous être plus tolérants ...

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    1. C'est pour moi le point fort du livre. Je n'y avais jamais vraiment pensé mais au final oui, pourquoi doit-on constamment se définir par case dans nos administrations? Femme-homme, marié-divorcé-célibataire, homo-hétéro... La plupart du temps quand on nous les demande, ces renseignements sont complètement inutiles. Le statut "en transition" ou flou qu'a voulu atteindre l'auteur n'est tout simplement pas tenable dans nos société.

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