Haut Val des Loups de Jérôme Meizoz
Dans un village de montagne, un jeune militant écologiste est sauvagement passé à tabac. Plus de vingt ans plus tard, les coupables n'ont toujours pas été arrêtés. Hier, comme aujourd'hui, les langues ne se délient pas facilement dans le Haut Val et les idées de la victime en dérangeaient plus d'un.
Pour lutter contre l'omerta et l'oubli, le narrateur revient sur ses souvenirs de jeunesse, à l'époque où un groupe d'étudiants naïfs et idéalistes, dont lui et le jeune écologiste faisaient partie, discutaient des heures durant de leur monde idéal. Au fil des courts chapitres, l'auteur peint ainsi le portrait du Haut Val, une région à la face sombre mais au décor merveilleux.
Il faut le dire tout de suite: malgré le sous-titre du livre de Jérôme Meizoz, mentionnant ironiquement "vrai roman", impossible pour moi de lire Haut Val des Loups comme une simple fiction. Car le Haut Val, malgré son pseudonyme, est clairement identifié comme ma région d'origine et le point de départ du livre est un événement qui y a fait grand bruit en 1991.
J'ai donc lu Haut Val des Loups presque comme une chronique des vingt dernières années de ma région. Malgré l'absence de noms, on reconnait facilement les personnages qui l'ont marquée, du poète des cimes blanches, au promoteurs-patron de football, jusqu'à un ministre empailleur de loups; les affaires qui l'ont secouée, des votations sur les résidences secondaires, au retour du loup et à l'attaque toujours inexpliquée d'un petit garçon.
Haut Val des Loups est une lecture qui m'a, sous certains aspects, fait mal. Comme Meizoz, j'ai quitté le Haut Val pour la ville et quand je reviens dans les lieux de mon enfance, je me sens parfois décalée. L'accent de "chez nous" me fait sourire, les magouilles et copinages politiques m'exaspèrent, le côté "nous contre les autres" m'énerve parfois, l'attitude du canton face à sa nature me déprime souvent. Et pourtant, je reste fière de ma région, de ce caractère si particulier qui fait l'identité de ses habitants, de la beauté des paysages, de ses vins, de ses traditions qu'elle a réussi à maintenir. Je monte aux barricades pour la défendre dès qu'un "étranger" s'en prend à elle et pourtant, je m'énerve de tenter d'expliquer ces histoires stupides qui ternissent son image et confirment tous les stéréotypes (pour les français, imaginez la Corse et vous n'êtes pas si loin du compte).
Une longue digression pour vous expliquer mon attitude face à ce livre. J'ai été parfois énervée que Meizoz montre le "Haut Val" sous ce jour peu flatteur. Et puis, je pense comprendre que l'auteur a probablement une attitude aussi ambivalente que la mienne pour notre région: un amour passionné que ces affaires sordides entachent et qu'il a donc décidé de dénoncer.
Je serais incapable de dire si c'est un bon roman. Je m'attendais à une histoire plus suivie, à une tentative d'explication des événements de 1991, à une intrigue, basée sur des faits réels, mais à une fiction quand même, plutôt qu'à cette succession d'images et de moments de la vie de l'auteur, qui diverge au final très vite du fait divers initial pour présenter une étude presque ethnologique du Haut Val. La structure complètement éclatée m'a également étonnée et je me demande si un lecteur externe peut s'y retrouver. Y trouvera-t-il même de l'intérêt?
Je retiens toutefois le portrait assez fin d'une région et de très beaux passages sur la nature ou l'identité du Haut Val. Je ne peux d'ailleurs m'empêcher de partager cet extrait ici:
"Le Haut Val (obturé à l'est par un glacier et à l'ouest par un lac) et ses allures de corridor sans issue; les autochtones y vivaient depuis des siècles comprimés entre deux chaînes de montagnes, bon an mal an, ignorant les ciels immenses d'Asie ou d'Afrique, mais avec le soutien de la religion, dominés tantôt par ceux du Haut et leur langue rugueuse, tantôt par ceux du Bas dont les armées avaient toujours remonté le Val; ceux qui étaient demeurés chez eux s'étaient bâti un fier récit (ils disaient une identité), à partir de cette situation plutôt inconfortable sur une terre aux hivers interminables, envahie de marais ou de glaces, faisant nécessité vertu jusqu'à proclamer bénie de Dieu cette cuvette ou ce couloir que les poètes officiels aimaient comparer généreusement à un berceau; ayant en eux, dès lors, avec l'orgueil des survivants, la colère ombrageuse contre qui se mêlerait de leurs affaires, leur rappellerait l'ingratitude du lieu, le peu de promesses qu'il tenait, l’exiguïté des terres et, parant, leur malchance, le retrait où il étaient tenus par une géologie impitoyable; eux, ayant lutée des siècles contre ces terre amères, impavides et revêches, auxquelles ils avaient bien dû, pour ne pas désespérer, prêter des beautés secondes; œuvrant pour rendre cette nature peu à peu habitable à coups de pioches et de fusils, la tenant en respect comme une sourde menace, un ennemi séculaire; eux qui pensaient que les "bestioles" devaient être exterminées ou réduites par dressage, les forêts essartées devant le bétail, les cours d'eau captés vers les villages; eux qui contre ces forces muettes avaient soutenu l'assaut, obstinés et taiseux; eux qui de cet interminable différend avec le monde, avaient gardé au fil des générations une sévérité rieuse, un goût du sacrifice et de la force, un fatalisme puissant dénué de pitié.
Alors qu'on vienne un jour leur parler de biotopes, de batraciens menacés et de restrictions de chasse, qu'on prétende protéger une forêt, contester une route et tout de suite on passerait pour un causeur des villes, un étranger qui ne connaît rien au lieu et à ses lois, un ennemi des ancêtres ayant maintenu envers et contre tous ces villages de bois, ces prés dégagés, ces routes de forêt; on passerait pour un traître désireux de revenir en arrière, ennemi d'une prospérité tardive et méritée, débarqué du train pour convaincre les natifs du charme des sous-bois" p. 54-55
Un faux roman, pas totalement documentaire, pas totalement essai. Une dénonciation, qui, sans chercher à obtenir justice ou à désigner des coupables, tente plutôt de décrire un contexte où règne encore trop souvent la loi du silence. Ayant réellement vécu, en spectatrice bien sûr, les divers évènements évoqués, je l'ai lu avec intérêt, mais je me demande si Haut Val des Loups peut vraiment être lu et apprécié comme de la fiction? Je n'en suis pas certaine mais je suis curieuse de tout autre avis.
A lire les quelques avis sur Babelio, c'est plutôt l'incompréhension qui règne.
Un village de montagne, la nuit. Un étudiant sauvagement battu par
trois inconnus. Le Jeune Homme se consacrait à la défense de
l’environnement. Un groupe de militants candides soutient la cause qui
lui a presque valu la mort. Dans les cafés, chacun y va de son avis. La
rumeur galope. Les preuves manquent, l’enquête s’enlise et la justice
finit par déclarer forfait. La police a-t-elle examiné toutes les pistes
de l’affaire ? Qui n’a pas intérêt à ce que la vérité éclate au grand
jour ? Épais comme un roman, le dossier reste secret. Mais parfois le
silence ne suffit plus : ici commence la littérature.
Haut Val des loups reconstitue les années ardentes et cocasses
de jeunes gens aux prises avec une société close, décidés à sauver la
nature et changer le monde…
MEIZOZ Jérôme, Haut Val des Loups, ed. Zoé, février 2015, 128p.
Une lecture qui pose question, plutôt étrange.
RépondreSupprimerUn livre difficile à définir, en effet.
SupprimerNormal cet emportement, on aime sa région et on n'aime pas qu'on en parle mal, mais comme toujours, ce ne sont pas quelques uns qui doivent entacher la réputation et la belle image de telle ou telle région, la plupart des gens qui y vivent y sont attachés et ne font rien de répréhensible
RépondreSupprimerLà c'est vrai qu'on parle d'affaires assez sordides et je pense que l'auteur a raison de ne pas les laisser simplement tomber dans l'oubli. Maintenant, on est tous un peu sensibles sur notre région ;-)
SupprimerC'est beau à lire, ton attachement pour ta région. :-) Beaucoup d'affect. J'aurais été curieuse de la découvrir à travers ce livre mais ce n'est peut-être pas la meilleure référence pour un lecteur externe.
RépondreSupprimerEntre parenthèse, je me suis trompée sur le André Brink que je voulais lire sur recommandation. C'est "Un instant dans le vent ", et non "Une saison blanche et sèche.
Effectivement, ce n'est pas le meilleur livre pour découvrir ma région. Mais si tu passes par la Suisse, je t'y invite volontiers ^_^
SupprimerJe n'ai pas lu "Un instant dans le vent" donc pourquoi pas pour une LC si tu n'es pas trop pressée (genre début 2016?)
Ça marche 2016, difficile de caser quoi que ce soit avant de toute façon haha ! On en reparle ? Je me le note pur vers février (après les fêtes et compagnie :-) ).
SupprimerCa marche... On se tient au courant!
SupprimerJe ne connais ni la région ni l'auteur, mais ton billet est intéressant. Il dit tout l'attachement à la "je t'aime moi non plus" qu'on peut avoir pour une région qu'on n'a pas choisie, dont on mesure les limites mais à laquelle on est attaché. Par contre, la lecture pour ceux qui ne la connaissent pas du tout peu être plus obscure, j'imagine...
RépondreSupprimerC'est vraiment une belle région dont on peut être fière mais effectivement, elle a aussi ses travers. Je pense que si tu ne connais pas le Valais (car c'est bien de cette région qu'il s'agit), le roman de Meizoz fait très peu de sens, malgré son effort pour généraliser un peu le propos. C'est un peu dommage, au final on tombe presque dans le manifeste plutôt que dans le roman.
SupprimerL'extrait est très beau en tous les cas et pourrait s'appliquer à certaines de nos régions françaises. Je ne sais pas si un lecteur néophyte aurait les clefs pour comprendre ce faux-roman comme tu dis. La structure narrative est-elle suffisamment suivie pour tenir un étranger au Haut-Val en haleine? En France, il me semble qu'un auteur avait pareillement fait un vrai-faux-roman sur son village d'origine, et je crois qu'il s'était pris des jets de pierre et des insultes à son retour...
RépondreSupprimerOn est pas loin de la Haute Savoie et la mentalité et je pense similaire dans toutes les régions de montagne, ou insulaire. Il y a donc une partie du livre qui peut être plus universelle mais d'autres chapitres se concentrent vraiment sur des affaires spécifiques qui ont secoué la région ces dernières années. Du coup, je peine à voir l'intérêt pour un lecteur complètement externe, surtout que la structure est très aléatoire.
SupprimerJe ne crois pas que Meizoz se soit (encore) pris des jets de pierre mais je pense qu'il ne doit pas toujours être le bienvenu dans certains cafés de village...
Je comprends que ce roman ait trouvé une certaine résonance auprès de toi ! Revivre au travers d'une lecture des événements qui ont eu lieu dans notre enfance n'est jamais anodin et fait resurgir mille choses ^^ Et puis un regard extérieur des années après peut parfois s'avérer bien différent de celui qui a vécu les faits de l'intérieur à l'instant T... Merci pour cette découverte et ces beaux extraits :)
RépondreSupprimerC'est en effet étrange de lire des épisodes que l'on a "vécus" dans un roman, surtout qui s'il se présente comme une "fiction". J'ai loupé l'auteur ce week-end au Livre sur les quais de Morges. Dommage, j'aurais bien voulu comprendre son objectif en écrivant ce livre et certains de ses choix...
SupprimerJe serais curieuse de connaître la région dont il est question ! J'imagine qu'il s'agit d'une région montagneuse... en Suisse ? Tu en parles très bien en tout cas. Je suis toujours fascinée par les vies de villages, un peu repliés, moi qui ai beaucoup vécu dans de (très) grandes villes.
RépondreSupprimerIl s'agit du canton du Valais, en Suisse. Région encaissée dans les Alpes, entre le glacier du Rhône et le lac Léman avec pour résultat une mentalité bien spécifique que l'auteur retransmet bien mais de manière pas assez universelle à mon goût pour vraiment intéresser les lecteurs extérieurs. Dommage!
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