Travers de routes de Damien Personnaz

Pour ceux qui aiment: La Constance du jardinier de John Le Carré

Avec Travers de routes, Damien Personnaz nous offre le récit de toute une vie de voyages, dont plus de vingt ans passés à parcourir le théâtre des pires catastrophes de ces dernières décennies pour le compte de la Croix Rouge puis de l'UNICEF. Chargé de décrire la situation humanitaire au quartier général et auprès des donateurs, Damien Personnaz est tour à tour témoin des horreurs commises par les hommes et des souffrances infligées aux populations civiles, comme de moments de grande humanité. 

De ses premiers voyages de jeunesse en Afrique du Sud et en Inde, aux missions effectuées dans le cadre de son travail au Rwanda, Libéria, Kurdistan, Angola, ou encore en Érythrée, l'auteur partage avec nous les raisons de son engagement, ses doutes, la difficulté d'alterner vie "normale" faite de crèche, d'impôts et de courses au supermarché, avec l'urgence du terrain. 

J'ai beaucoup aimé ce récit, que j'ai trouvé d'une étonnante sincérité et dépourvu de leçons de morale ou de certitudes bon marché. Tout en partageant moments de grâce et belles rencontres faites au fil des années, Damien Personnaz ne cache ni le plaisir égoïste éprouvé sur le terrain, ni les faiblesses de l'humanitaire, ni la bonne dose de réalisme dont il faut faire preuve. 

J'ai trouvé passionnant sa découverte des mécanismes de l'apartheid en Afrique du Sud, sa description du Liberia des années 90, son questionnement sur le réalisme des témoignages, sur le besoin d'abandonner une part d'idéalisme, de questionner le schéma du bourreau et de la victime afin d'apporter son aide là où elle est nécessaire. Chaque situation sert de contexte à de belles réflexions, à de nombreux questionnements et à des phrases qui résonnent profondément chez le lecteur. 

"Mais oui, j'ai véritablement adoré ma "mission" au milieu de ces jeunes tueurs, ces coupeurs de routes, ces estropiés. Le mythe du Blanc éclairé, hyperactif et l'air soucieux, qui sauve les pauvres du monde, a la vie dure. La vérité, c'est ce que ce bon Blanc prend son pied. Il n'est certes pas insensible à la souffrance des autres mais d'abord, il prend son pied." p. 184

"Il y a peu, je suis devenu à la fois père et orphelin. En trois ans, mes parents se sont rejoints dans un cimetière de campagne. Dorénavant, ces deux sémaphores n'éclairent plus mon existence. Depuis, mon chagrin semble dérisoire comparé à tous les autres, mais c'est le mien et j'y tiens." p. 150

"- Il n'y a pas que ta bonne dame du Liberia. Notre rôle est de nous occuper des gens, pas des individus.
J'acquiesce, un pied déjà dans la défaite. On me la resservira bien souvent, cette phrase imparable et cruelle, devant laquelle je suis réduit au rôle de petit Don Quichotte naïf et ridicule." p. 136

Travers de route est un récit passionnant, vivant et touchant, qui interroge notre vision de l'humanitaire et du monde en général. Son seul défaut est peut-être sa brièveté, qui laisse l'impression que bien d'autres choses aurait pu être dites. On en ressort avec l'envie de passer une après-midi à discuter voyages, géopolitique et de la vie tout court avec son auteur...

Des premiers voyages d'un jeune homme curieux au témoignage d'un humanitaire en proie au doute, à l'impuissance et à l'euphorie, ces huit récits relatent des instants marquants d'une vie ordinaire de terrain dans des pays bouleversés (Rwanda, Libéria, Erythrée, Angola, Kurdistan turc, Afrique du sud, Pakistan). Si certaines anecdotes portent à sourire, les faits vécus ébranlent profondément le lecteur au fur et à mesure que tombent ses illusions ; l'auteur prévenant dès le départ que « voyager, c'est voir le monde tel qu'il est et non pas comme on voudrait qu'il soit ». Tant dans la force des émotions qu'il véhicule et des réflexions qu'il engage, que dans l'écriture qui permet de les révéler ; Travers de routes est un livre remarquable, de ceux dont les lecteurs resteront imprégnés, irrémédiablement.

Damien Personnaz est un journaliste, écrivain et géographe franco-suisse. Après des études de géographie tropicale à Bordeaux et de géopolitique à Genève, il devient journaliste dans un quotidien genevois avant de s'engager pendant plus de vingt ans auprès de la Croix-Rouge internationale et de l'UNICEF, en Afrique, en Asie et en Europe. Passionné d'îles lointaines, difficiles d'accès et peu connues, il est l'auteur de Sept oasis des mers (2008) et de Cinq petits mondes (2013). Travers de route est le premier de ses ouvrages consacré à son expérience humanitaire. 

Je remercie les éditions de la Remanance pour la découverte de ce livre et je souhaite plein de succès à cette jeune maison d'édition. D'ailleurs, je souligne la jolie mise en page, bien aérée, et le format carré, original de ce livre. 

PERSONNAZ Damien, Travers de routes, ed. La Remanence, octobre 2014, 204 p.

Commentaires

  1. Oooh ça ça ne peut que m'intéresser !!! Merci pour cette découverte !
    En passant, j'ai fini mon Romain Gary.^^ Mon billet n'est pas encore commencé, je me donne 2 semaines. Du coup je ne me prononce pas encore vraiment car je suis passée par divers stades d'appréciation. Le début, excellent, le milieu des questionnements, des doutes même, la fin, du grand art.:-) C'est du grand Gary, tellement différent encore de ceux que j'ai lus (La vie devant soi et La promesse de l'aube), donc pas comparable, mais en terme de plaisir de lecture, pour l'instant, ces deux titres restent nettement devant. Et toi où en es-tu ?
    Et en passant bis, c'est bien avec toi la LC du Mur invisible de Marlen Haushofer ?^^ Keisha l'a commencé, je pense démarrer mi-mars par là.

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    1. Je pense que Travers de routes pourrait en effet te plaire, n'hésite pas.
      Et pour Gary, désolée de mon long silence, grosse période de stress au boulot. Je sors la tête de l'eau et ayant fini Gros-Câlin depuis quelques semaines, c'est quand tu veux pour la publication de nos billets... Je suis en tous cas très curieuse de lire ton avis.
      Pour Mur invisible, je n'ai pas encore commencé. Je suis dans le deuxième tome de Blackout, mais pense pouvoir m'y mettre d'ici à la fin du mois... Ca vous irait fin avril?

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    2. Oooh j'espère que ça se passe mieux côté boulot ! Je reviens de vacances et suis un peu en décalage par rapport aux actus livres et blogs haha. Du coup, je suis loin d'avoir commencé Le mur invisible donc fin avril me va très bien ! Je mets le 30 ? Keisha l'a déjà fini, et il y a aussi Cryssilda qui compte s'y mettre pour le challenge UE/Autriche qu'on fait ensemble,
      Pour Gary, mon billet est en brouillon, quasi fait, donc je suis prête aussi quand tu veux. Disons fin de semaine ? Genre le vendredi 03/04 ?

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    3. Ok, je note le 30 avril pour le Mur invisible. Je suis en plein milieu du 2ème tome de Black Out mais j'essaierai d'être au rendez-vous.
      Pour Gary, ça marche pour le 3.04. Je serai en vacances mais je vais programmer mon billet aujourd'hui ou demain. Je passe lire ton avis dès mon retour.

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    4. J'ai commencé quelques lignes du Mur invisible par curiosité hier soir, en pensant reprendre plus tard vu que j'ai déjà une lecture en cours, hé bien, ça y est, je suis ferrée... Je m'y sens totalement bien, j'aime beaucoup la façon de l'auteure de décrire les événements. Bon, du coup j'ai laissé l'autre lecture en cours de côté... Ce sera bon pour fin avril. J'espère que pour Cryssilda aussi, elle ne l'a pas commencé encore. Mais ça a l'air de se lire vite.:-)
      Pour Gary, si tu préfères, on peut le publier Gary, ça ne me dérange pas du tout (j'ai plein de billets en brouillon, des lectures antérieures haha).

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    5. Cool pour le Mur invisible. Il faut encore que je mette la main dessus (aie aie aie).
      Pour Gary, mon billet est programmé pour demain matin donc pas de prob. Je serai de retour mardi, tout impatiente de lire ton billet sur Lady L. Bonnes fêtes!

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  2. Le sujet ne m'aurait pas tenté. Trop difficile. Mais finalement, après lecture de ton billet, pourquoi pas.

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    1. Le témoignage de Damien Personnaz est loin d'être glauque. Bien sûr, c'est dur mais pas du tout larmoyant.

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