Gros-Câlin de Romain Gary (Émile Ajar)

"Lorsqu'un python s'enroule autour de vous et vous serre bien fort, la taille, les épaules, et appuie sa tête contre votre cou, vous n'avez qu'à fermer les yeux pour vous sentir tendrement aimé."

Michel Cousin est un original perdu dans la jungle parisienne. Passant ses journées à compter par millions au bureau de la statistique où il est employé, il peine à trouver même un peu de chaleur une fois rentré chez lui. Jusqu'à sa rencontre avec Gros-Câlin, un énorme python de 2 mètres qu'il décide d'adopter pour lui tenir compagnie. Au risque de faire fuir la belle Mlle Dreyfus, qui a chaque rencontre dans l'ascenseur, laisse miroiter à Cousin un prometteur futur commun.

Premier roman écrit par Romain Gary sous le pseudonyme d'Émile Ajar, Gros-Câlin fut une grosse surprise pour moi. J'étais habituée aux personnages de doux originaux avec Romain Gary mais Michel Cousin dépasse ici de loin toute la gamme de l'auteur. Cousin est un être complètement à part et inadapté à la société. Ses contacts se résument à des visites chez les "bonnes putes" et à quelques paroles triviales échangées avec Mlle Dreyfus, qu'il voit pourtant déjà devenir sa fiancée. C'est un personnage extrêmement esseulé et en manque d'affection, au point de se rabattre sur l'étreinte froide d'un python pour lui tenir compagnie. 

Il a y a beaucoup de tristesse et de solitude dans ce roman, ainsi qu'une dénonciation assez forte de la déshumanisation de notre société. Si on éprouve bien évidemment de la pitié pour Cousin, le livre évite le côté plombant grâce à de nombreuses touches d'humour. Cousin est un illuminé qui nous fait rire par sa gaucherie et son inadaptation loufoque, son phrasé si particulier, ses réflexions à côté de la plaque. 

Gros-Câlin est de loin le Gary le plus barré lu jusqu'ici. Vous connaissez peut-être mon manque d'affinité avec le genre absurde, ce qui explique probablement ma difficulté à vraiment accrocher à cette lecture. Cela reste toutefois du Gary, et même sans avoir réussi à totalement entrer dans ce roman, mon exemplaire reste recouvert de post-it. La langue est belle et les tournures astucieuses, même dans le style saugrenu de son personnage:

"- Je voudrais vous demander à titre personnel pourquoi vous avez adopté un python et pas un animal plus comment dirais-je?
- Plus comment dirais-je?
- Oui. Plus proche de nous, quoi. Un chien, un joli oiseau, un canari?
- Un canari? Plus proche de nous?
- Ce qu'on appelle justement les animaux familiers. Un python, ce n'est tout de même pas quelque chose qui se prête à l'affection des siens. 
- Monsieur le commissaire, dans ces affaires-là, on ne choisit pas, vous savez. C'est des sélectivités affectives. Je veux dire, des affinités électives. Je suppose que c'est ce qu'on appelle en physique les atomes crochus." p. 39

"Lorsqu'on tend au zéro, on se sent de plus en plus, et pas de moins en moins. Moins on existe et plus on est de trop. La caractéristique du plus petit, c'est son côté excédentaire. Dès que je me rapproche du néant, je deviens en excédent. Dès qu'on se sent de moins en moins, il y a à quoi bon et pourquoi foute. Il y a poids excessif. On a envie d'essuyer ça, de passer l'éponge. C'est ce qu'on appelle un état d'âme, pour cause d'absence." p. 197

Gros-Câlin ne sera certainement pas ma lecture favorite de l'auteur mais il prouve une fois encore le talent de cet auteur dans un genre complètement différent de ce que j'ai lu jusqu'ici. J'en connais une, plus adepte du style absurde (hein A girl), à qui cette histoire de python devrait d'avantage plaire...

«Je sais parfaitement que la plupart des jeunes femmes aujourd'hui refuseraient de vivre en appartement avec un python de deux mètres vingt qui n'aime rien tant que de s'enrouler affectueusement autour de vous, des pieds à la tête. Mais il se trouve que Mlle Dreyfus est une Noire de la Guyane française, comme son nom l'indique. J'ai lu tout ce qu'on peut lire sur la Guyane quand on est amoureux et j'ai appris qu'il y a cinquante-deux familles noires qui ont adopté ce nom, à cause de la gloire nationale et du racisme aux armées en 1905. Comme ça, personne n'ose les toucher.»
Une étonnante fable humoristique, premier roman de l'auteur sous le pseudonyme d'Emile Ajar. 

Lecture commune autour de Gary avec A Girl from Earth. Allez vite voir son billet sur Lady L.

PS. Ma soeur a récemment été voir la pièce adaptée de ce roman, mise en scène par Bérangère Bonvoisin avec Jean-Quentin Châtelain, et l'a trouvée exceptionnelle. C'est effectivement un texte, en forme de long monologue que je vois bien adapté au théâtre et qui pourrait plus me plaire sous cette forme. En espérant qu'elle repasse par ici à l'occasion. 

GARY Romain, Gros-Câlin, ed. Mercure de France, Coll. Folio, publié pour la première fois en 1974, 215p.

Commentaires

  1. Un roman un peu particulier mais j'aime tellement Romain Gary ..

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    1. Comme toi, je suis fan de cet auteur. Et même un Gary auquel j'accroche moins, reste une lecture marquante... Je me réjouis déjà de découvrir le prochain!

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    1. Ah oui, c'est complètement différent de ce que j'ai lu de lui jusqu'ici. Mais en fait, chaque lecture de Gary est complètement différente. Pas grand chose à voir entre La Promesses de l'aube, La vie devant soi, Les racines du ciel, etc... et ce Gros-Câlin. A part ce côté très humain peut-être.

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  3. Oho oui, voilà un Gary qui a tout pour me plaire ("le Gary le plus barré", c'est sans appel pour moi !!, et le sujet, les extraits, tout me parle !) et je m'en réjouis d'avance ! Limite, je pense le lire cette année ! D'ailleurs, si je m'étais amusée à lire les résumés de ses oeuvres avant de me décider pour un titre, j'aurais pu opter facilement pour celui-ci, mais Lady L. était sur ma LAL depuis un moment, je ne regrette pas sa lecture.:-)
    Chouette LC autour d'un auteur ! Ça m'a permis de sortir ENFIN de ma LAL un des romans d'un auteur que j'adore pourtant, mais le temps, la discipline pour caser tout ça... A refaire absolument !

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    1. On peut se faire une LC inversée avec ta lecture de Gros-Câlin et ma lecture de Lady L. ;-)

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    2. Tope-là !^^ Gros-Câlin me parle beaucoup ! Mais au fait, je viens d'apercevoir dans tes annonces de LC qu'on avait Nadine Gordimer aussi en projet ! Bon, je commence à réfléchir à mon choix de titre.^^

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    3. Cool, on peut se redire pour Gary vers l'automne ou la fin de l'année. Ca irait pour toi ou tu es plus impatiente?
      Et pour Nadine Gordimer, il faut que j'y réfléchisse aussi. Je pense choisir July's People.

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    4. Je serais partie aussi sur July's People, la référence un peu quand on parle de Nadine Gordimer, mais d'autres titres me tentent aussi. Enfin je crois que je partirai sur July's People quand même tant qu'à faire.^^ Je me note Juillet (July !^^), comme toi, on verra bien. Et pour le Gary, ça me va très bien automne ou fin d'année.:-)

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    5. C'est tout noté! On se redit pour les dates plus précises... A+

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  4. Gros câlin, un roman que j'ai lu à sa sortie , et que j'avais aimé. Gary a tellement de talent et plus d'une corde à son arc!

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    1. Ah oui, on peut presque parler de tout un arsenal là ;-) Mais La Promesse de l'aube et La vie devant soir restent encore et toujours mes préférés. Je sais, pas franchement original mais bon ;-)

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