Allah n'est pas obligé d'Ahmadou Kourouma
Pour ceux qui aiment: Sozaboy de Ken Saro Wiwa
A la mort de sa mère, Birahima est confié aux soins de sa tante vivant au Libéria. Accompagné de Yacouba, un féticheur et escroc, il part sur les routes d'Afrique de l'Ouest à la recherche de sa tante, à travers le Libéria et le Sierra Leone déchirés par la guerre civile. Birahima nous conte ainsi, à sa manière très particulière d'enfant des rues, ses pérégrinations et sa lutte pour survivre parmi les enfants-soldats.
L'originalité d'Allah n'est pas obligé est ce récit du jeune Birahima en forme de confession qui fait vivre au lecteur la vie d'un enfant-soldat dans le chaos de la guerre tribale. Le style est très parlé, parsemé d'argot et écrit à l'aide de quatre dictionnaires dont les définitions sont intégrées dans le récit:
"Il avait fait prévaloir que sa fonction méritait elle aussi une par. (Faire prévaloir, c'est faire remporter l'avantage.) Les dirigeants de la société ne voulurent pas l'entendre de cette oreille. Ils hésitaient; ils craignaient des représailles de la part des deux factions. (Représailles signifie, d'après le Petit Robert, mesures répressives infligées à un adversaire pour se venger du mal qu'il a causé.) Ils tergiversaient, tergiversaient. (Tergiverser signifie user de détours, hésiter pour retarder une décision.) Alors Johnson décida d'agir en garçon, un garçon ayant un bangala qui bande. (Agir en garçon, d'après l'Inventaire des particularités, c'est agir en courageux.)" p.153
Allah n'est pas obligé ressemble ainsi à une fable, avec des personnages récurrents et annonciateurs comme Sekou, beaucoup de répétitions et une construction cyclique: Birahima et Yacouba voient en effet leurs aventures se répéter d'un groupe de rebelles à un autre. Cette forme m'a d'ailleurs fait penser à Soie d'Alessandra Baricco.
Si j'ai trouvé cette construction et le style du récit certes originaux, méritant même à eux seuls les prix attribués à ce livre, je dois quand même dire que le manque de réalisme qui en résulte m'a gênée. Je m'attendais en fait à un récit plus construit autour du thème des enfants-soldats et de la guerre civile, et le traitement un peu "fabuleux" de ces sujets m'a laissée sur ma faim.
Ahmadou Kourouma revient également dans ce livre sur des épisodes historiques de la guerre au Libéria et au Sierra Leone. Ayant pas mal étudié le sujet à l'université, j'y ai retrouvé un bon résumé des événements. Cela reste cependant plutôt superficiel et simplifié car vu à travers les yeux d'un enfant (à la décharge d'Ahmadou Kourouma, je précise que j'adhère de toute façon très rarement aux narrateurs-enfants). En fait, j'ai trouvé ces parties un peu "entre deux". Selon moi, la masse d'informations est à la fois trop importante mais pas assez précise pour qu'un lecteur ne connaissant que très peu l'histoire de ces deux conflits si complexes s'y retrouve vraiment.
Un récit à la forme très originale qui s'inscrit dans la tradition orale africaine en se rapprochant de la fable, mais au final, une lecture plutôt frustrante pour ma part: j'en attendais un traitement plus approfondi et réaliste des thèmes des enfants-soldats et de la guerre tribale.
Kalachnikov en bandoulière, Birahima tue des gens pour gagner sa vie. Pas plus haut que le stick d'un officier, cet enfant-soldat du Liberia raconte. L'errance, la guerre, les pillages, les massacres, les copains qui tombent sous les balles... Témoin lucide et fataliste, il nous offre l'image terrifiante d'une Afrique qui sacrifie ses enfants.
Cette lecture a été faite pour le Blogoclub de mars sur le thème de l'Afrique, proposé par Sylire et Lisa.
KOUROUMA Ahmadou, Allah n'est pas obligé, ed. du Seuil, coll. Points, janvier 2002, 221p. Première publication: septembre 2000.
A la mort de sa mère, Birahima est confié aux soins de sa tante vivant au Libéria. Accompagné de Yacouba, un féticheur et escroc, il part sur les routes d'Afrique de l'Ouest à la recherche de sa tante, à travers le Libéria et le Sierra Leone déchirés par la guerre civile. Birahima nous conte ainsi, à sa manière très particulière d'enfant des rues, ses pérégrinations et sa lutte pour survivre parmi les enfants-soldats.
L'originalité d'Allah n'est pas obligé est ce récit du jeune Birahima en forme de confession qui fait vivre au lecteur la vie d'un enfant-soldat dans le chaos de la guerre tribale. Le style est très parlé, parsemé d'argot et écrit à l'aide de quatre dictionnaires dont les définitions sont intégrées dans le récit:
"Il avait fait prévaloir que sa fonction méritait elle aussi une par. (Faire prévaloir, c'est faire remporter l'avantage.) Les dirigeants de la société ne voulurent pas l'entendre de cette oreille. Ils hésitaient; ils craignaient des représailles de la part des deux factions. (Représailles signifie, d'après le Petit Robert, mesures répressives infligées à un adversaire pour se venger du mal qu'il a causé.) Ils tergiversaient, tergiversaient. (Tergiverser signifie user de détours, hésiter pour retarder une décision.) Alors Johnson décida d'agir en garçon, un garçon ayant un bangala qui bande. (Agir en garçon, d'après l'Inventaire des particularités, c'est agir en courageux.)" p.153
Allah n'est pas obligé ressemble ainsi à une fable, avec des personnages récurrents et annonciateurs comme Sekou, beaucoup de répétitions et une construction cyclique: Birahima et Yacouba voient en effet leurs aventures se répéter d'un groupe de rebelles à un autre. Cette forme m'a d'ailleurs fait penser à Soie d'Alessandra Baricco.
Si j'ai trouvé cette construction et le style du récit certes originaux, méritant même à eux seuls les prix attribués à ce livre, je dois quand même dire que le manque de réalisme qui en résulte m'a gênée. Je m'attendais en fait à un récit plus construit autour du thème des enfants-soldats et de la guerre civile, et le traitement un peu "fabuleux" de ces sujets m'a laissée sur ma faim.
Ahmadou Kourouma revient également dans ce livre sur des épisodes historiques de la guerre au Libéria et au Sierra Leone. Ayant pas mal étudié le sujet à l'université, j'y ai retrouvé un bon résumé des événements. Cela reste cependant plutôt superficiel et simplifié car vu à travers les yeux d'un enfant (à la décharge d'Ahmadou Kourouma, je précise que j'adhère de toute façon très rarement aux narrateurs-enfants). En fait, j'ai trouvé ces parties un peu "entre deux". Selon moi, la masse d'informations est à la fois trop importante mais pas assez précise pour qu'un lecteur ne connaissant que très peu l'histoire de ces deux conflits si complexes s'y retrouve vraiment.
Un récit à la forme très originale qui s'inscrit dans la tradition orale africaine en se rapprochant de la fable, mais au final, une lecture plutôt frustrante pour ma part: j'en attendais un traitement plus approfondi et réaliste des thèmes des enfants-soldats et de la guerre tribale.
Kalachnikov en bandoulière, Birahima tue des gens pour gagner sa vie. Pas plus haut que le stick d'un officier, cet enfant-soldat du Liberia raconte. L'errance, la guerre, les pillages, les massacres, les copains qui tombent sous les balles... Témoin lucide et fataliste, il nous offre l'image terrifiante d'une Afrique qui sacrifie ses enfants.
Né en Côte d'Ivoire en 1927, Ahmadou Kourouma est l'auteur de quatre livres, tous disponibles en Points. Le prix Jean Giono 2000 lui a été attribué pour l'ensemble de son oeuvre. Il est mort à Lyon en décembre 2003.
Ce livre a obtenu le Prix Renaudot 2000, le Prix Goncourt des lycéens 2000 et le Prix Amerigo-Vespucci 2000.
Ayant déjà dans ma PAL la suite des aventures de Birahima, Quand on refuse on dit non, qui est également le dernier livre de l'auteur décédé en 2003, je le lirai donc sûrement. J'espère être moins déçue par ce récit de la vie de Birahima après sa démobilisation.Cette lecture a été faite pour le Blogoclub de mars sur le thème de l'Afrique, proposé par Sylire et Lisa.
KOUROUMA Ahmadou, Allah n'est pas obligé, ed. du Seuil, coll. Points, janvier 2002, 221p. Première publication: septembre 2000.
Je comprends mieux pourquoi tu parles de fable et je trouve ton analyse très intéressante. C'est vrai que le côté cyclique des évènements est très artificiel. Je te rejoins totalement sur les parties historiques qui sont trop longues et peu claires lorsque l'on ne connaît pas bien l'histoire du Liberia et de la Sierra Leone.
RépondreSupprimerJ'ai aimé le récit de Birahima et sa recherche de mots précis pour ponctuer ses dires. J'ai trouvé cette parole enfantine crédible.
RépondreSupprimerMais c'est difficile de suivre le périple tout en rentrant dans l'histoire complexe des pays traversés.
J'ai cru pendant la première partie que j'allais beaucoup aimer ce roman auquel je trouvais de nombreuses qualités tant du point de vue du récit que de celui du style et puis quelque chose s'est brisé et j'ai eu du mal à le finir! L'envie n'y était plus!
RépondreSupprimerEn fin j'arrive à ouvrir ton billet (rien à faire, ce matin!)
RépondreSupprimerTu as raison de parler de fable, après tout nos héros s'en sortent sans une égratignure, l'histoire peut durer longtemps, etc...Mais c'est lassant à la fin, et même si on connait l'histoire déjà!
J'ai vu hier à la bibli le livre que tu cites au début de ton billet, mais je vais passer...
Je ne l'avais pas vu sous l'angle de la fable mais tu as raison, c'est bien cela. Bravo pour ton analyse.
RépondreSupprimerTon commentaire est très intéressant et ceci d'autant plus que tu as étudié l'histoire de ces pays et que tu connais bien la littérature africaine, ce qui n'est pas mon cas.
RépondreSupprimerPersonnellement, j'ai beaucoup aimé ce roman que j'ai trouvé fort et dérangeant.
Les explications historiques sont peut-être superficielles pour toi mais je les ai trouvées suffisantes pour comprendre le contexte. Plus approfondies, elles auraient plombé le roman.
La dénonciation des haines tribales, des fanatismes, du racisme, de la corruption etc... m'ont paru très convaincantes et j'ai aussi apprécié que Kourouma ne s'arrête pas là et dénonce les puissances étrangères qui prêtent la main aux massacres pour défendre leurs intérêt économiques.
J'ai aimé le style et j'ai été très sensible à la forme du conte africain mais aussi philosophique. A plusieurs reprises, j'ai pensé à Candide fuyant la guerre et autres violences, répétant sans cesse la même phrase, persuadé que "tout est pour le mieux dans le meilleur du monde" comme le lui a inculqué son bon maître Pangloss. Birahima court le monde et rencontre la guerre et toutes sortes d'horreurs en répétant que "Allah n'est pas obligé d'être juste" et à chaque bain de sang se persuade que "c'est la guerre tribale qui veut ça". Kourouma veut faire entendre le contraire et manie bien l'ironie. Enfin les définitions du dictionnaire permettent l'humour surtout quand l'enfant les interprète à sa manière mais aussi la dénonciation des injustices et autres iniquités.
@Titine: J'étais un peu lassée pendant ma lecture mais une fois le livre refermé, j'ai trouvé la forme vraiment très intéressante et originale. Bon, au final, un livre doit quand même être distrayant et plaisant à lire ce qui n'a pas été totalement le cas pour moi ici mais la démarche d'écriture de Kourouma "mérite" peut-être quand même tous ces prix. J'espère que tu retenteras la littérature africaine (je garde ton mail en preuve);-)
RépondreSupprimer@Fransoaz: La parole enfantine et "petit nègre" est bien faite, sauf dans les parties historiques où le ton change je trouve. J'ai trouvé ça dommage.
@Mango: La deuxième partie est beaucoup plus historique et répétitive. J'ai moi aussi préféré la première moitié. Bon, j'en conclus que je serai seule à lire la suite ;-)
@Keisha: Ah bon, Blogger a dû buguer. Tout à fait d'accord avec le côté lassant mais ça reste une lecture intéressante pour moi. Sozaboy est peut-être plus réaliste et bon, c'est un livre à lire juste pour conserver la mémoire de son auteur, pendu par le régime nigérien de Sani Abacha pour ses activités politiques... A toi de voir!
RépondreSupprimer@Sylire: Merci. J'ai cogité un moment sur ce livre, j'étais frustrée de ne pas l'avoir aimé plus que ça ;-)
@Claudialucia: C'est intéressant d'avoir ton point de vue. Je n'ai pas trouvé les explications historiques superficielles mais je me demandais si elles étaient suffisantes pour quelqu'un qui ne connait pas l'histoire du Libéria ou si, au contraire, elles allaient embrouiller encore plus le lecteur. Ca n'a apparemment pas été ton cas et c'est tant mieux.
Je suis aussi tout à fait d'accord sur ton lien avec Candide. Concernant les définitions, j'ai trouvé ça intéressant mais un peu lassant sur la fin. Enfin bref, j'aurais aimé être plus séduite mais je crois que j'en attendais autre chose. Vu ton commentaire, je pense que Sozaboy de Ken Saro Wiwa pourrait te plaire également.
Je voulais participer à ce blogoclub mais je n'ai pas réussi à me le procurer à temps. Cela dit, vu les avis mitigés, je ne pense pas le lire après coup.
RépondreSupprimerTon billet est très intéressant! Je n'avais pas vu ce récit sous la forme d'une fable, avec ses répétitions cycliques, c'est bien pensé de ta part. Cela dit je continue à trouver que la partie «description historique» ne fait pas réaliste dans la bouche d'un enfant peu éduqué et que c'est ce qui alourdit le roman, selon moi. En fait, après avoir lu ton billet, je pense que l'auteur aurait dû couper complètement ces parties et prendre le partie de la fable à 100 %!
RépondreSupprimer@Manu: C'est vrai que les avis sont plutôt mitigés, à part Claudia qui a beaucoup aimé et qui pourra peut-être te convaincre de le lire quand même. Pour moi c'est une lecture intéressante mais d'autres très bons romans, peut-être plus accessibles, ont été écrits sur le sujet des enfants-soldats...
RépondreSupprimer@Grominou: Le ton professoral des parties historiques ne colle pas, je suis d'accord. Mais le choix des épisodes, plutôt "spectaculaires" et les descriptions des "stars" du conflit pourrait je trouve correspondre à ce qu'un enfant retient des événements. Il reste quand même ce décalage et je suis plutôt d'accord avec toi, ces parties auraient pu être supprimées et l'intrigue aurait même pu se passer dans un pays imaginaire "ressemblant au Libéria".
j'en entends beaucoup parler en ce moment et je le lirai bien. Je poursuis ma visite de ton blog que je connaissais déjà et que j'ai plaisir à retrouver. A bientôt
RépondreSupprimerJe l'avais beaucoup aimé à sa sortie, même si le thème est assez rude.
RépondreSupprimer@Bénédicte: C'est l'effet Blogoclub ;-) Je pense qu'il mérite une lecture même si je m'attendais peut-être à autre chose. Et tu es bien sûr toujours la bienvenue ici. A bientôt!
RépondreSupprimer@Alex: Un thème difficile, c'est sûr mais à mon goût, d'autres auteurs l'ont traité de meilleure façon.
Je maitrise très peu le sujet, même si tu le trouves pas assez approfondi, je pense que ce livre pourrait m'instruire, mais je crains un peu une certaine brulité. pas forcément le bon moment.
RépondreSupprimer@Géraldine: Ce n'est pas un sujet facile, c'est sûr, mais il n'y a pas de violence gratuite dans ce livre. Les passages les plus violents sont malheureusement véridiques et l'auteur n'en rajoute pas non plus. C'est un livre intéressant mais j'aurais préféré un traitement plus "réaliste" du sujet. Maintenant, c'est peut-être un bon livre pour une vue générale du thème des enfants-soldats. Tu me rediras si tu te lances...
RépondreSupprimerBonjour Zarline,
RépondreSupprimerTon blogue m'apparaît très intéressant, j'y trouve plein de suggestions littéraires très tentantes! Concernant Allah n'est pas obligé, j'ai lu tous les commentaires, et je les trouve tous très justes. J'ajouterais cependant cette nuance: je pense que cet ouvrage sert d'entrée plus accessible à l'univers de Kourouma. L'enfant-narrateur (qui, je trouve, est bien maîtrisé, et qui cède sa place à un autre narrateur lorsque vient le temps de traiter de politique avancée) rend plus accessible son univers, qui prend finalement toute sa saveur à la lecture de "En attendant le vote des bêtes sauvages", qui est magistral, selon mes goûts. Mais à un lecteur moyen, je suggère Allah n'est pas obligé pour l'introduire la littérature africaine, pour ensuite le lancer dans "En attendant le vote des bêtes sauvages", une brique de 600 pages. As-tu déjà lu "La grève des Bàttu", de Aminata Sow Fall? C'est très bien aussi.
@Ladyinmauve: Tout d'abord bienvenue ici. Je n'ai lu ni "En attendant le vote des bêtes sauvages" ni "La grève des Battu". Je ne connaissais d'ailleurs pas ce dernier et je te remercie donc de la découverte. Concernant "Allah...", je dois avouer que Kourouma partait avec un handicap, parce que de manière générale, les enfants narrateurs passent mal avec moi. J'avoue que la narration est ici plutôt réussie. Je n'ai toujours pas lu la suite mais en fait, j'ai plusieurs fois pensé que "En attendant le vote des bêtes sauvages" me conviendrait mieux. Ton commentaire semble le confirmer, j'essaierai de me lancer... dès que j'aurai vu le bout de la rentrée littéraire ;-) A bientôt!
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